Tous coupables !

«Falaka». Là, nous sommes en pays de connaissance des lexicologues, puisque Le petit Larousse affiche le terme, en définit le sens et identifie ses inventeurs.

Il nous précise qu’il désigne des coups sur la plante des pieds. Une des forces du mot est d’être utile et pratique chez ceux qui, au mépris de toutes les garanties prévues par la loi, ont fait de la torture physique un métier. Depuis que la vidéo présentant Longuè Longuè subissant la falaka est devenue un de ces aimants langagiers qui attire toutes les ferrailles politiques, sociologiques et intellectuelles, ce qui se dit ne cesse de mettre en évidence les conflits d’interprétation, ou plutôt les ambiguïtés de la construction sociologique et les enjeux éthiques et politiques des tortures infligées aux citoyens à divers endroits du Cameroun.

Dans ce qu’il convient désormais d’appeler «l’affaire Longuè Longuè», ce qui nous tient à la gorge avec une force particulière, nous invite à réfléchir sur les leçons à tirer des faits pour notre société contemporaine, et ce qu’on lui souhaite. En fait, le débat juridique et moral (est-il légitime de torturer une personne?) concerne tout le monde. Mais il est déjà réglé. Le droit international est très clair: «La torture est immorale et illégale, et, deuxièmement, il est interdit aux signataires de la convention des Nations unies non seulement de se rendre responsables d’actes de torture, mais aussi de les tolérer, de les mandater ou de les faciliter».

Ce droit, cependant, n’efface pas le fait: on a torturé, depuis toujours, et on torture encore. D’où un autre problème: la torture est-elle efficace? Envisagée du seul point de vue pragmatique ou technique, une telle question semble ne devoir intéresser que les tortionnaires patentés – gangsters, ravisseurs, mafieux, soldats d’armées de terreur ou agents dévoyés de polices d’Etat. Les enjeux sont politiques pourtant, car si la torture est partout proscrite parce que «cruelle et inhumaine», c’est au nom de son efficacité qu’elle est malgré tout utilisée, comme moyen ultime d’arracher des aveux, des informations, des secrets, en vue de fins jugées sinon légitimes du moins nécessaires.

Voilà donc où nous en sommes, chers lecteurs, à force de donner la parole à n’importe qui, à n’importe quelle heure et sur n’importe quel sujet. Nous en sommes à entendre que la torture serait acceptable dans certains cas; ce qui ne manque pas de conforter ses praticiens dans le fantasme d’avoir dompté tous les risques et absout les éventuelles responsabilités. Et c’est là un aspect important du débat, si l’on ne veut pas uniquement s’en tenir aux controverses relatives au pourquoi ce n’est que maintenant que la vidéo est publiée.

En réalité, les racines du mal sont beaucoup plus profondes au Cameroun où la torture a deux buts: faire parler ou faire taire. Dans ce cadre, la sévérité des effets de tous ordres débouche sur un questionnement qui ne peut être éludé: qui torture qui? Bien évidemment ce ne sont pas uniquement ceux qui ont torturé Longuè Longuè. C’est tout le monde. Notre société est celle dans laquelle on pratique la torture; celle dans laquelle les tortionnaires redoublent d’imagination et de cruauté, infligeant à leurs victimes de pires atrocités, dans de macabres et terrifiantes mises en scène.

Jean-René Meva’a Amougou

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