Tchundjang Pouemi, un héros méconnu

Le 27 décembre 1984, Joseph Tchundjang Pouemi quittait ce monde dans des conditions jamais élucidées. À l’occasion du quarantième anniversaire de sa disparition, nous avons jugé utile de revenir sur le parcours intellectuel et professionnel de l’économiste camerounais ainsi que sur les combats qu’il mena.

Né le 13 novembre 1937 à Bangoua (dans l’Ouest du Cameroun), Tchundjang Pouemi obtient le BEPC en 1955 au Collège moderne de Nkongsamba. Il décroche le baccalauréat en 1959 après avoir été instituteur à Pitoa (1955-1958). L’année suivante, il débarque à l’université de Clermont-Ferrand. Il y soutient son doctorat en sciences économiques en 1968. Le titre de sa thèse est “Les critères de choix des projets d’investissement en pays sous-développés par les organismes internationaux, fondements théoriques et problèmes d’application”.

Rentré au Cameroun, Tchundjang enseigne à la Faculté de Droit et des sciences économiques de l’Université fédérale du Cameroun tout en dirigeant la fondation Carnegie qui donnera naissance à l’Institut des relations internationales du Cameroun (IRIC). En 1971, il est le premier Camerounais admis à l’agrégation de droit et des sciences économiques. De 1973 à 1975, il dirige le département des sciences économiques en même temps que l’Institut d’administration des entreprises. En 1975, il intègre l’Université d’Abidjan. À cette époque, Houphouët avait pris des mesures (gratuité du logement, salaire d’un enseignant du secondaire supérieur à celui d’un médecin ou d’un ingénieur des Ponts et Chaussées) pour encourager les Ivoiriens à embrasser le métier d’enseignant. En agissant de la sorte, le premier président ivoirien voulait attirer les cerveaux africains en Côte d’Ivoire. Fabien Eboussi Boulaga (Cameroun) et Elungu Pene Elungu (ex-Zaïre) font partie des cerveaux africains qui enseignèrent la philosophie à l’université d’Abidjan. Comme économiste en chef, Tchundjang participa aux travaux et études du Bureau national d’études techniques (BNET). Ses interventions sur les questions monétaires étaient fort appréciées.

En 1977, il rejoignit le Fonds monétaire international (FMI) à Washington. Il le quitta, deux années plus tard parce qu’il était en désaccord avec les prescriptions économiques et monétaires du FMI qu’il appellera d’ailleurs le Fonds de misère instantanée parce que les PAS, partout où ils furent appliqués, ne laissèrent derrière eux que souffrance, misère et pauvreté. Or plus un pays s’appauvrit, moins il est capable de prendre en charge la santé et l’éducation de ses populations, et plus il abandonne les clés de sa souveraineté entre les mains de ceux qui lui ont conseillé de passer sous les fourches caudines du FMI.

En 1979, Tchundjang retourne au Cameroun. Au Centre universitaire de Douala qui vient d’être créé, il enseigne les techniques quantitatives à l’École supérieure des sciences économiques et commerciales tout en étant chef du département d’analyse de données et de traitement de l’information. Le 22 août 1983, il est nommé Directeur général du Centre Universitaire de Douala, fonction qu’il assume jusqu’en août 1984. L’université de Yaoundé a besoin de lui à la rentrée académique 1984-1985. Malheureusement, Tchundjang meurt brutalement, le 27 décembre 1984. Il n’avait que 47 ans. Beaucoup pensent qu’il a été éliminé mais par qui et pourquoi ? Quels intérêts dérangeait-il ? Un nègre jaloux, cupide et indigne a-t-il accepté la sale besogne de le faire passer de vie à trépas ? La mort de Tchundjang reste aussi mystérieuse que l’assassinat d’Engelbert Mveng et d’autres illustres fils du Cameroun.

Ahmadou Ahidjo et Houphouët-Boigny lui auraient proposé d’entrer dans leurs gouvernements mais Tchundjang aurait décliné leur proposition parce qu’il n’était intéressé ni par le matériel ni par les honneurs (tapis rouge, gardes du corps, voyages en première classe, etc.), parce qu’il voyait comme une perte de temps le fait de travailler avec des chefs d’État qui n’ont pas les coudées franches et qui sont en permanence contrôlés par Paris, parce qu’il n’avait pas sa langue dans sa poche si l’on en croit veuve Thérèse Semi Bi-Zan qui le côtoya quand il était à Abidjan. Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre de François Mitterrand, disait qu’un ministre, “ça ferme sa gueule. Si ça veut l’ouvrir, ça démissionne”. Tchundjang n’aurait pas tenu longtemps dans un gouvernement dirigé par un sous-préfet de la France. Ce qui l’intéressait, c’était comment faire pour que l’Afrique soit autonome, pour que les Africains soient maîtres chez eux et respectés à l’extérieur. Son combat, c’était d’agir pour permettre à l’Afrique d’avoir sa propre monnaie, qui est une expression de souveraineté, car celui qui fabrique votre monnaie, contrôle votre économie.

Parmi les publications de Tchundjang, il y a “Monnaie, Servitude et Liberté. La répression monétaire de l’Afrique” (Paris, Édition Jeune Afrique, 1980). Ce livre attaque frontalement la vassalisation de l’Afrique par la France par le biais du franc CFA. Tchundhang y défend les idées suivantes : 1) L’Afrique doit accorder aux questions monétaires l’attention qu’elles méritent ; 2) La monnaie doit cesser d’être l’affaire d’un petit groupe de spécialistes qui jouent aux magiciens ; 3) Il n’est pas normal que le Trésor public français soit placé au-dessus de la BCEAO et de la BEAC. Certains universitaires camerounais feront disparaître l’ouvrage pendant de nombreuses années. C’est en 2000 que le livre sera réédité par Ménaibuc, une maison d’édition basée à Paris.

Dramane Ouattara est fier de rappeler qu’il a travaillé au FMI comme s’il était le premier Africain à avoir intégré cette institution. Tchundjang y fit ses preuves avant lui. Mieux, il eut le courage d’en démissionner quand il s’aperçut que les Programmes d’ajustement structurel (PAS) faisaient plus de mal que de bien aux pays africains. Pour monter en grade ou pour conserver un misérable strapontin, le carriériste accepte n’importe quoi, est prêt à aliéner sa liberté et sa dignité, ne recule devant aucune compromission. Tchundjang n’était pas carriériste. C’est la première différence entre lui et Ouattara. La seconde différence, c’est que personne n’a vu un ouvrage ni un article de Ouattara en économie alors que les Tchundjang Pouemi et Martial Ze Belinga (Cameroun), Nicolas Agbohou et Mamadou Koulibaly (Côte d’Ivoire), Kako Nubukpo (Togo), Sally N’Dongo (Sénégal) et d’autres ont fait des publications qui dénoncent le franc CFA et soutiennent que “le sort de l’Afrique ne se joue pas dans des salons obscurs de France, mais dans les têtes des Africains, en Afrique” (Célestin Monga). Ce qui sépare enfin Tchundjang et Ouattara, c’est que le premier militait pour qu’une monnaie soit créée et contrôlée par les Africains tandis que le second y est farouchement opposé.

Tchundjang fait partie des héros africains, non parce qu’il serait irréprochable, mais parce qu’il a incarné, de façon intense et radicale, la dignité, la fidélité à l’Afrique, la résistance, le refus de courber l’échine devant les soi-disant maîtres du monde. 

Jean-Claude DJEREKE

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