Quand Montaigne parlait de l’art de converser, il expliquait qu’il voulait bien discuter avec des gens qui avaient une opinion totalement différente si elle était bien construite et que cela lui permettait de réfléchir, d’avancer. Cela implique d’écouter son contradicteur et c’est ce qu’il appelait la conversation. Sur les plateaux de télévision ou de radio, l’on n’a plus l’impression que les débats qu’on donne à voir aujourd’hui soient sur ce registre.
A la télévision où l’on programme des débats, c’est à peu près toujours la même pièce qui se joue entre les panélistes. Entre ceux-ci, les débats se révèlent aussi violents que stériles. Entendre un avis opposé au sien est perçu comme une menace. De fait, en s’installant sur le plateau, certains sont sur le qui-vive. Les attaques sont préparées, les uppercuts langagiers appris par cœur faisant prospérer des montées de tension et laissant apparaître des lignes de conflit. Aujourd’hui, les punchlines arrivent parfois comme un cheveu sur la soupe, on écoute l’autre juste pour repérer un mot-clé qui nous permettrait de sortir notre phrase préparée, c’est un dialogue de sourds. A l’observation, en s’attachant à corriger toutes les aberrations et de répondre pied à pied aux « attaques », la rhétorique de certains invités enferme le débat dans des slogans et dans des choix manichéens (à commencer par le fait d’être rangé dans le camp des « démagogues » ou dans celui des « angélistes »).
Par ailleurs, un certain nombre de pseudo experts, bien implantés dans les médias, réussissent à faire passer pour des vérités « scientifiques » un certain nombre d’affirmations et de catégories d’analyse, avec des amalgames et des généralisations qui ne servent pas la réflexion. Aucune idée particulière ne se dégage de cette confrontation, ce sont justes des combats avec les propos les plus outrés possible. À l’ombre de la violence ouverte, il vaut la peine de repérer les violences secondes, qui passent plutôt inaperçues, mais qui, mieux que la première, font davantage le quotidien des débats sur nos plateaux de télévision. Il s’agit de la pratique de l’interruption. Chaque discours est en moyenne haché par sept à dix interruptions; les orateurs parlent en général longtemps et les contradicteurs n’hésitent pas à leur signifier leur désaccord. L’arnaque de ce genre d’émission c’est de dire aux gens qui la regardent qu’on va leur présenter plusieurs opinions et qu’ils pourront faire la leur. Or, au vrai, si le présentateur veut faire émerger des invités incisifs, il cache surtout sa volonté de faire parler des invités provocateurs, querelleurs. En fait, c’est un système en circuit fermé qui ne fabrique rien.
Face à ces constats, quelques ennemis du débat sont repérables à l’occasion de certains talk-shows. Le premier, c’est l’urgence, on a généralement très peu de temps pour s’exprimer. Ensuite, il y a la violence. Pour fabriquer des émotions, il faut crier fort. Troisièmement, c’est l’arrogance. Plus les discours sont réduits, plus ils sont assenés de manière arrogante. Puis, il y a l’offense, quand un panéliste intervient, il s’abstient de s’autocensurer.
D’une manière générale, tous les médias qui travaillent à la confection des émissions de débats bien analysées, bien décryptées, participent à apaiser les débats et les conversations. Mais cela s’apprend. Aujourd’hui, dans les écoles, on valorise beaucoup l’éloquence, la rhétorique. C’est bien. Mais on devrait aussi apprendre à converser, organiser des débats, avoir des lieux où on peut se limer la cervelle à celle des autres. Autrement dit, le premier geste consiste à ce que chacun se dessaisisse de sa prétention à détenir la vérité, pour demander au débat lui-même de la faire apparaître.
Jean-René Meva’a Amougou