Nous ne connaissons pas ça

Quand tu parles de lutte des classes à un Camerounais, il te répond qu’on ne connaît pas ça ici.

Pourtant, regardez les militants du RDPC : bien habillés, ventrus, sûrs d’eux, distribuant ou recevant des “choses”. Ce sont des fonctionnaires, ou des anciens fonctionnaires, des hommes d’affaires, des chefs, des notables. Ceux qui ont tout.
Et regardez ceux qui suivent Tchiroma : maigres, poussiéreux, n’ayant rien à offrir que leurs voix, leurs corps. leur énergie. Ils n’ont rien — sinon la foi de crier leur misère et leur espérance.

Je le dis : cette affaire va se terminer entre ceux qui ont et ceux qui n’ont rien.
Ce que Karl Marx appelait la lutte des classes.

Mais si vous regardez Tchiroma, vous vous trompez. Regardez ceux qu’il attire.
Ce que j’ai vu dans les vidéos de ses meetings, c’est un peuple qui se découvre.
Je n’ai pas vu une campagne électorale : j’ai vu un éveil.
Des visages illuminés, une énergie neuve, une vibration qu’on ne fabrique pas.
J’ai vu un mur tomber.

Ce peuple-là est plus jeune que ce régime qu’il veut voir partir.
Il est né sous Biya, n’a jamais choisi son président, n’a jamais aimé ses dirigeants — seulement appris à les craindre.
Et voilà qu’il sent battre quelque chose de neuf : une appartenance, un destin.
Ce peuple sans privilèges ni avenir assuré est prêt à tout donner à celui qui, pour la première fois, lui parle sans mépris.

En face, il y a ceux qui ont tout : les “gens bien”, les notables, les fonctionnaires, les commerçants prospères, les distributeurs de “choses”.
Protégés par la police, ils disent que le peuple fait du désordre.
Mais ils ont oublié qu’ils viennent de ce peuple.
Notre histoire coloniale a produit cette élite fascinée par le pouvoir.
Fascinés par le faste, ils ont oublié la dignité dans la poussière.

Ce qui se joue aujourd’hui n’est pas une élection, c’est le rejet d’un style : celui de la distance, de l’arrogance, du mépris.
Un style qui n’est pas seulement celui du président, mais d’une élite tout entière, persuadée que réussir, c’est s’éloigner .
Une élite qui confond réussite et séparation, autorité et mépris, privilège et compétence. Ils ont changé de classe … les arrivistes.

Ceux qui pensent pouvoir refaire avec Tchiroma ce qu’ils ont fait avec Kamto se trompent.
Les campagnes de dénigrement ne marchent plus.
Quand le peuple dit “notre diable préféré”, c’est qu’il a déjà accepté les imperfections de son héros.

Car le virtuel de Paul Biya, désormais adepte de Twitter, a perdu contre le réel de la rue.
Les téléphones qui filment les foules ne diffusent pas des “fake news” : ils montrent que le peuple existe et s’est levé.
Ce pouvoir qu’on ne voyait qu’à la télévision, le voilà dans la rue.
Et pour la première fois, le peuple ose regarder le pouvoir en face.
Autrefois, quand Biya passait, on leur demandait de tourner le dos.
Aujourd’hui, Tchiroma leur apprend à lever la tête.

Et ceux qui ont pris la rue ne la rendront plus.
Le message est clair : partez avant qu’il ne soit trop tard.
Nulle part au monde, aucun régime n’a triomphé d’un peuple debout.

Jean-Paul Sartre écrivait :
« Le peuple, ce n’est pas une somme d’individus, c’est une force en attente de se reconnaître. »

Hannah Arendt ajoutait :
« Le pouvoir naît quand des hommes se rassemblent et agissent de concert. »

Le peuple n’existe pas dans le silence. Il devient peuple quand il agit ensemble.
C’est ce qui s’est produit en 1789 à Paris, en 1960 à Accra, en 2011 à Tunis, en 2019 à Khartoum.
C’est ce que vivent aujourd’hui les Camerounais dans la rue : ils se reconnaissent.
Sortir dans la rue, c’est recharger le réel, reconnecter le politique et le sacré.
« Quand le peuple danse, la terre bouge. »
Le peuple camerounais, aujourd’hui, s’est remis à danser. Et quand la terre bouge, aucun mur, aucune police, aucun mensonge ne peut la retenir.

Oui, cette affaire va se terminer en lutte entre ceux qui ont tout pris et veulent encore tout garder, et ceux à qui ils demandent d’attendre sept ans de plus.

Jean Pierre Bekolo

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