Mobilité urbaine : quand Yaoundé «respire» au rythme des taximen

Au moment de se passer le volant, ils bloquent les grands axes de liaison de la ville.

Si vous prenez la route de Nkomkana à partir de 14 heures, il faudra sans doute vous armer de patience. «C’est l’heure la plus difficile entre le Carrefour Sous-Préfecture Tsinga et Madagascar». Selon ces termes de Daouda, habitué des lieux, c’est un axe très emprunté par ses collègues taximen. «A cette heure-là, explique-t-il, le volume d’embouteillage explose à cause du travail de quart. Les collègues qui ont roulé le matin passent le volant à d’autres et versent la recette aux proprié-taires de voitures».
Ce 26 janvier 2024, l’expérience du Carrefour Ekounou (Yaoundé 4e) en donne déjà un bon exemple. L’accès à Kon-dengui via Carrousel très difficile à partir du début d’après-midi. Dès 14 heures et peut-être même avant, le jaune intense des taxis dicte sa loi. L’image écrit un chapitre essentiel du quotidien de ce haut-lieu situé dans le 4e arrondissement de la capitale. Selon le Ceema (Cabinet d’études et d’expertise sur la mobilité et l’aménagement qui recense le trafic en temps réel à Yaoundé, «Nkomkana, Carrefour Ekounou, Rails Ngousso, Biyem-Assi Lac, Carrefour Essomba, Messamen-dongo sont d’épouvantables chaos quand les taxis changent de conducteurs; même hors circonstances exceptionnelles, le tra-fic n’y est jamais vraiment fluide».

«Opération escargot»
En écoutant ce que disent des usagers, on peut repérer que l’inconfort vécu. «Nous vivons tous les après-midi ces bou-chons infernaux. Quand on arrive ici à cette heure-ci, c’est l’opération escargot; on roule à moins d’un kilomètre à l’heure; c’est ubuesque ici à Rails Ngousso!», signale l’un d’eux descendu de sa grosse cylindrée. Et malgré les aména-gements initiés par les mairies, ces lieux persistent à garder leur décor fait de foules de taximen, conduites transgressives, stationnements abusifs, concert de klaxons, engueulades… et même des affrontements sanglants entre propriétaires de taxis et chauffeurs. Tout pour mettre en mots l’embarras et l’impuissance des forces de l’ordre à prendre en charge tous ces désordres. «On pourrait croire qu’ici, il faut plus de routes pour éviter les bouchons mais ce n’est pas le cas. C’est quelque chose qu’on observe naturellement Il n’y a pas de so-lution magique pour enrayer les embouteillages à ces endroits en ce moment-là», confesse un agent de police.
Face à la faiblesse des autorités, les taximen deviennent in-contrôlables. Au Carrefour Essomba (Yaoundé 4e) par exemple, les taximen règnent en maîtres entre 14 et 15 heures. Cette mainmise, notamment sur la chaussée et les édi-fices environnants, a une forte incidence sur la circulation. «Le Carrefour Essomba est un passage structurant pour les usagers qui roulent en direction de Sous-Manguiers, Terminus Mimboman et même au-delà. Mais, quand les volants des taxis changent de mains, il se bloque carrément», renseigne Tobie Mvondo, le chef de quartier. Selon ce dignitaire tradi-tionnel, cette situation ne s’évapore pas avant une heure. «En ce moment-là, même la portion routière pouvant servir de passage aux voitures personnelles est entièrement coupée et ce sont les taximen qui gouvernent».

Entrées et sorties
Et pour mieux faire valoir leur costume de gouvernants, cer-tains parmi eux devisent au milieu de la chaussée, comme au lieu-dit Biyem-Assi Lac (Yaoundé 6e). Dans ces conditions, tout le monde se trouve dans une position délicate. «Quand un collègue a déjà remis sa voiture à un autre, il faut maintenant gérer la phase de la sortie. On ne peut pas sortir quand les autres voitures bloquent la route et que leurs chauffeurs boi-vent des sachets ou de la bière au milieu de la route comme vous voyez», explique un ancien mécanicien devenu taximan. «Le soir, je pouvais amener des personnes en 20 minutes jusqu’à Acacia, maintenant il faut minimum une heure pour franchir cet endroit quand il est cette heure-ci», enchaîne-t-il.
Toute la subtilité consiste donc à «gérer les voitures qui sor-tent, celles qui entrent et celles qui passent tout simplement», selon le chef de piste d’une station-service sise au quartier Nkomkana. A cet exercice d’équilibriste s’adonnent quelques taximen et même des associations d’exploitants de taxis. «Si nous ne nous ingénions pas à fluidifier la circulation quand on a déjà pris la recette du matin, on ne peut rien espérer le soir. Puisque le taxi est sur place, il ne peut pas travailler de l’argent», démontre David.
A bien considérer les choses, non seulement ces mesures se sont traduites par une place encore plus importante laissée au désordre, mais en plus elles ont échoué à diminuer la conges-tion dans les sites d’échange de chauffeurs. Cet échec, com-biné à la montée progressive du nombre de chauffeurs postu-lants, a poussé les propriétaires de taxis à redéfinir la géogra-phie du temps. «Ici à Ekounou, nous disposons des fiches de décharge pour nos chauffeurs. Ce qui nous prend encore de longues minutes, c’est la vérification de l’état du véhicules», renseigne Albert Fotso. «Le patron» (comme on l’appelle ici) travailler dans la perspective d’une exploitation qui garantit la baisse du niveau de congestion du carrefour Ekounou. L’enjeu étant de rendre le covoiturage plus compétitif que la voiture individuelle.

Jean-René Meva’a Amougou

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

WP Radio
WP Radio
OFFLINE LIVE
Retour en haut