Le lien intrinsèque entre les remises migratoires et les déplacements volontaires d’individus d’un pays à un autre appelle à un changement de paradigmes.
«Les migrations et les envois de fonds qui en découlent sont des moteurs essentiels du développement économique et humain». Cette déclaration de la directrice mondiale du pôle Protection sociale et emploi à la Banque mondiale, Iffath Sharif, à l’occasion de la présentation de la Note d’information sur les remises migratoires et le développement, met le doigt sur la réalité des migrations aujourd’hui. Elle concerne 3,60% de la population mondiale, soit 281 millions de personnes à fin 2020, selon l’Organisation internationale des migrations (OIM); et apporte une contribution significative au développement non seulement des pays d’origine, mais aussi de ceux leur offrant l’hospitalité. Et pour en toucher un mot sur la question, Dilip Rata soutient que: «Les communautés d’accueil dépendent des migrants pour répondre aux besoins de main-d’œuvre. Ils accomplissent les tâches les plus fondamentales, de la construction des routes et des logements, à la prise en charge des très jeunes et des personnes âgées. Nous savons aussi qu’ils stimulent l’innovation. En plus, nous devons prendre en compte les taxes payées, leurs investissements et les activités commerciales qu’ils génèrent». À cela, s’ajoutent des épargnes des expatriés dans les institutions bancaires de leur pays d’accueil. Lesquels, nous en apprend l’économiste, restaient peu ou pas rémunérés avant 2013.
Des problèmes à la pelle
La désinformation fait partie des principales entraves à la migration. Selon l’OIM, elle continue de façonner dans l’imagerie une perception négative des migrants. Il leur est ainsi reproché à titre illustratif «de se rendre dans d’autres pays pour bénéficier de régimes d’aide sociale ou accéder à certains emplois», énonce à titre illustratif le rapport sur les migrations dans le monde de 2022. D’autres clichés ont le vent en poupe. Notamment ceux relatifs aux trafics de drogue et de stupéfiants ou encore aux comportements violents. Lequel met en outre en évidence le fait que ces discours sont le plus souvent «superficiels et parfois politisés». Pour en apporter la preuve, Dilip Rata tranche le débat. «Nous avons appris que la migration n’accapare pas, en termes nets, les emplois des autochtones. Chaque nouveau migrant crée en moyenne un nouvel emploi, ce qui contribue donc à la croissance de l’économie», rapporte-t-il dans sa chronique disponible sur le site des Nations unies. Les migrants sont par ailleurs confrontés à diverses barrières telles que les procédures longues et onéreuses de délivrance des passeports et autres titres de voyage.
Aventure périlleuse
«Alors que nos marchés du travail mondialisés recherchent des migrants et qu’un plus grand nombre de personnes veulent sortir de la pauvreté, notre système de mobilité internationale les en empêche. Il renforce le pouvoir de ceux qui exploitent les migrants – passeurs et trafiquants, recruteurs sans scrupules et employeurs corrompus. Il a gravement compromis les droits des migrants», poursuit Dilip Rata. La Note d’informations sur les remises migratoires et le développement en 2023 reprend à son compte cette réalité. La Banque mondiale y évoque les expulsions quotidiennes de migrants de l’Algérie et de la Tunisie, les activités assumées des passeurs de migrants à Agadez au Niger. L’Actualité internationale elle-même rapporte des faits d’expulsion en Guinée Équatoriale de certains expatriés ressortissants de l’Afrique centrale; ainsi que des scènes de violence à l’égard de ressortissants africains dans des pays du Maghreb et l’Afrique du Sud.
Sus des règlementations
La question des blocages aux déplacements humains volontaires transcende la simple question des comportements individuels. Elle met aussi en exergue l’adoption par des gouvernements des cadres règlementaires et législatifs restrictifs en matière d’immigration. C’est le cas, pointe l’institution de Bretton Woods, de l’Afrique du Sud. Ce pays a pris mis en vigueur, depuis le 20 mai dernier, des mesures consacrant l’introduction d’un système basé sur des points pour le visa de travail général et pour les visas d’affaires de longue durée, entre autres. La France affiche ces dernières années une tendance parmi les plus restrictives. C’est ce que démontre la Loi «immigration» promulguée dans ce pays le 26 janvier 2024. Laquelle permet de contrôler le flux migratoire en direction de la France et resserre quelque peu les conditions d’intégration. Au-delà de ces sujets, ladite loi met à égale position les idéaux de la droite et des socialistes sous l’ère sous l’égide du président Emmanuel Macron. Sous d’autres cieux, les États-Unis d’Amérique multiplient des efforts pour contenir l’afflux de réfugiés provenant d’Amérique centrale.
Des avancées
La bataille en faveur de l’immigration sûre et légale gagne tout de même du terrain. Selon la Banque mondiale, «de nombreux pays cherchent à organiser les migrations compte tenu de déséquilibres démographiques mondiaux et de déficits de main-d’œuvre d’un côté et, de l’autre côté, de taux de chômage importants et de pénuries de compétences. Nous travaillons à la mise en place de partenariats entre pays d’origine et d’accueil des migrants pour faciliter la formation, en particulier celle des jeunes, afin qu’ils acquièrent les compétences nécessaires pour obtenir de meilleurs emplois et revenus dans leurs pays d’origine et de destination». L’on peut aussi compter la structuration progressive des relations entre les gouvernements et leurs migrants. Ce qui est le cas au Cameroun où un bureau est fonctionnel au Parlement pour traiter des questions touchant la diaspora; en plus de cela, le gouvernement est engagé dans une approche de développement inclusive. Il faut par ailleurs citer la Convention sur les travailleurs domestique en vigueur depuis 2013; Celui-ci offre un cadre de protection aux travailleurs les plus vulnérables dont un grand nombre sont des migrants; et l’introduction d’un volet consacré aux migrants dans les objectifs de développement durables (ODD).
Louise Nsana
Envoi des fonds de la diaspora
Belles perspectives pour 2024
La croissance des envois de fonds vers l’Afrique subsaharienne devrait connaitre un léger redressement de 1,5% en 2025 après avoir été négative de 0,3% en 2023. En valeur absolue, cela représente une augmentation attendue à 55 milliards de dollars (soit 33 782,77 milliards de FCFA). Ces perspectives sont contenues dans la Note d’informations sur les remises migratoires et le développement pour l’exercice 2023. Elles se butent cependant à des facteurs de risque. Il s’agit notamment d’une croissance plus faible que prévu dans les pays développés, ce qui serait de nature à réduire les envois de la diaspora africaine, l’escalade du conflit Israël-Gaza qui pourrait perturber la chaîne d’approvisionnement. Il faut également ajouter à cela des risques d’ordre sécuritaire au Burkina Faso, au Tchad, en République démocratique du Congo, au Mali, au Mozambique et au Nigeria; ainsi que la persistance de la sécheresse dans la partie australe du continent. «Dans l’ensemble, le taux de croissance économique au Canada, en Europe et aux États-Unis, où vit une grande partie des émetteurs de fonds, diminuera de 1,6 pour cent en 2023 à 1,5 pour cent en 2024», précise le rapport.
Plusieurs indicateurs rendent déjà visible l’embellie escomptée. Il s’agit entre autres de la hausse des fréquences de transferts de fonds en direction du Kenya au cours des quatre premiers mois de l’année en cours. Il est question d’une augmentation déjà palpable de l’ordre de 21% par rapport à la même période en 2023. Ces signes avant-coureurs devraient être amplifiés en Éthiopie avec l’accord signé courant avril entre M-PESA et Onafriq, le plus grand réseau de paiements numériques d’Afrique.
Louise Nsana