Le drame de Pierre Landu

Pierre Landu est un prêtre noir formé à Rome. Après quelques années de ministère au milieu des siens, il découvre qu’il est prêtre d’une religion étrangère et qu’autour de lui Dieu n’est souvent qu’un moyen utilisé par les missionnaires européens pour dominer et exploiter les Noirs.

Il se souvient, par exemple, de « ces 500 hectares de la paroisse de Kanga que cultivent chaque jour des catéchumènes. En retour, ces appelés du Seigneur n’ont droit qu’à un maigre repas quotidien et à deux heures d’instruction religieuse. Ils achètent ainsi leur baptême, dans la sueur, le sang et l’exploitation. L’œuvre de communion, le message de charité sont devenus des alibis couvrant des entreprises commerciales ».


À son supérieur blanc, le P. Howard, Landu fait alors part de son désir de quitter la paroisse pour participer avec les maquisards à l’implantation de la justice dans son pays colonisé par la Belgique de Léopold II. À ses yeux, un tel engagement lui permettrait de vivre davantage en prêtre de Jésus-Christ, de ne plus composer avec un passé compromettant que malheureusement plusieurs membres de son Église incarnent encore.


Bref, aussi paradoxal que cela paraisse, Landu veut expérimenter un christianisme qui ne sépare pas la théorie de la pratique. Le P. Howard, lui, pense qu’aller au maquis, c’est trahir le Christ. Pierre Landu lui répondit: « N’est-ce pas plutôt l’Occident que je trahis? N’ai-je pas le droit de me dissocier de ce christianisme qui a trahi l’Évangile? »


Au maquis, Landu passa sa première nuit dans un dortoir mixte. Antoinette, sa voisine, lui demanda pourquoi il était là. Landu lui donna cette réponse : « On combat ici pour un monde meilleur. Une révolution. Un chrétien devrait être en état permanent de révolution. Je veux simplement être un chrétien… En restant dans les structures de l’Église, je trahis. Et puis, comment vivre en paix sans être de ceux qui veulent, en vérité, en acte, faire triompher la justice? Je me réclame du Christ. C’était un révolutionnaire. Pour les bien-pensants. C’est pour cela qu’ils l »ont pendu. »


Antoinette reprit la parole : « Je crois en Dieu mais le catholicisme, c’est une religion de Blancs. En quoi cette religion serait-elle plus vraie que celle de mes ancêtres? Pourquoi moi, je l’accepterais? Catholique, universelle, tout ce qu’on veut, le problème demeure : le catholicisme est une religion marquée par l’Occident. Jusque dans la compréhension du message. Porté, soutenu par des structures européennes, il n’est guère possible de l’aimer sans s’inscrire dans l’histoire d’un monde. »


En 2011, sur RFI, le cardinal camerounais Christian Tumi fut le seul évêque africain à condamner l’intervention militaire de la France en Côte d’Ivoire. Le pays de Sarkozy avait fait bombarder la résidence présidentielle et d’autres symboles de la souveraineté nationale avant de déporter le président Laurent Gbagbo à La Haye. Pour l’ancien archevêque de Douala, non seulement la colonisation était terminée mais les Ivoiriens étaient capables de régler tout seuls leur différend. Mgr Tumi jugeait scandaleux le silence et la passivité du clergé et de l’épiscopat ivoiriens.


En demeurant dans une institution qui n’a pas le courage de dénoncer les crimes de l’Europe en Afrique, le prêtre ou le religieux africain ne trahit-il pas à la fois l’Afrique et le Christ dont le message de liberté, de vérité et de justice dérangeait l’establishment politico-religieux de son temps? Voilà une des nombreuses questions soulevées par le Congolais Valentin-Yves Mudimbe dans le roman « Entre les eaux » (Paris, Présence
Africaine, 1973).


Jean-Claude Djéréké

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