La nécessité de remettre Laurent Gbagbo sur la liste électorale

Le 19 octobre 2024, à la demande des militants du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI), j’ai donné une conférence à Montréal sur pourquoi Laurent Gbagbo doit être inscrit sur la liste électorale.


Doit-on inscrire Laurent Gbagbo sur la liste électorale?

D’après le dictionnaire « Larousse », la nécessité est ce dont on ne peut pas se passer, ce qui s’impose. L’inscription de Laurent Gbagbo sur la liste électorale s’impose-t-elle? Sans hésiter, je réponds par l’affirmative. Pourquoi?
Primo, parce que la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples qui est au-dessus des juridictions nationales a ordonné en septembre 2020 que son nom soit remis sur la liste électorale. Secundo, parce que, de tous les candidats qui se sont déjà déclarés pour la présidentielle d’octobre 2025, Laurent Gbagbo est le seul qui parle ouvertement de souveraineté, laquelle souveraineté, de mon point de vue, passe par la fermeture des bases militaires étrangères, la non-immixtion de la France dans les affaires intérieures des pays africains et l’abandon du franc CFA, né le 25 décembre 1945 et dont l’économiste égyptien Samir Amin préconisait la révision au début des années 1970 dans une étude commandée par Hamani Diori, premier président du Niger (cf. « L’Afrique de l’Ouest bloquée. L’économie politique de la colonisation, 1880-1970 », Paris, Éditions de minuit, 1971);
Tertio, parce que Laurent Gbagbo est le seul homme politique ivoirien craint par la France affairiste, politique et médiatique. Pourquoi est-il craint? Parce qu’il est l’un des rares Africains capables de parler franchement et crûment à la France et de la France. Souvenons-nous, à cet égard, de sa première comparution, le 5 décembre 2011: “J’ai été arrêté le 11 avril 2011 sous les bombes françaises, c’est l’armée française qui a fait le travail”. Gbagbo est craint parce qu’il n’a jamais voulu être un sous-préfet de l’ancienne puissance colonisatrice, parce qu’il n’a jamais cherché à se soigner et à posséder des biens (immeubles, villas et comptes bancaires) en France.

Quarto, parce que, s’il a survécu à tout ce qu’il a subi (tentatives de renversement, arrestation, déportation à Korhogo, 8 ans de détention à la Cour pénale internationale, cela signifie que Dieu n’en pas fini avec lui. Je fais partie des Ivoiriens et Africains qui croient que, si Dieu a gardé Laurent Gbagbo en vie et s’Il lui a permis de triompher de tous ses adversaires et ennemis, c’est parce que la mission que le Créateur lui a confiée n’est pas terminée. Lui-même , en évoquant sa première participation à l’élection présidentielle de 1990, s’est décrit comme un précurseur. On peut aussi dire de lui que, par les injustices qu’il a courageusement affrontées, il a ouvert les yeux des Africains sur ce qu’est la France. Marcien Towa[1] disait à ce sujet ceci: “Laurent Gbagbo a exposé la France. Il a permis à l’Afrique et au monde entier de voir le visage hideux de la France.”

Quinto, parce que c’est Laurent Gbagbo qui est vraiment en mesure de réussir la réconciliation qui, si on veut qu’elle soit vraie et durable, exige que les responsabilités soient situées, que les Ivoiriens sachent qui a fait quoi, à quel moment et pourquoi. Je suis d’accord avec lui quand il soutient qu’il est trop facile de dire “Je demande pardon aux Ivoiriens, j’ai pardonné à X ou à Y, on doit avancer, on doit passer à autre chose, etc.” Non, il est indécent et immoral de passer à autre chose en passant par pertes et profits les milliers d’Ivoiriens dont la vie s’est précocement arrêtée à cause d’individus assoiffés de pouvoir et instrumentalisés par une puissance étrangère qui a toujours perçu notre pays comme une vache à lait et qui a toujours cru qu’elle pouvait y faire ce que bon lui semble. Vladimir Jankélévitch, un survivant du nazisme, a écrit un ouvrage intitulé « L’Imprescriptible ». Cet ouvrage réunit deux textes , “Pardonner?” et “Dans l’honneur et la dignité”. Dans le premier texte, Jankélévitch constate que la plupart des bourreaux et ceux qui ont soutenu le hitlérisme n’ont jamais été inquiétés. Je convoque ici ce texte parce qu’il porte deux idées que je trouve justes et auxquelles je souscris sans réserve: 1) “La mémoire de l’horreur constitue une obligation morale” et 2) “Nous ont-ils jamais demandé pardon? C’est la détresse et c’est la déréliction du coupable qui seules donneraient un sens et une raison d’être au pardon. Quand le coupable est gras, bien nourri, prospère, enrichi par le « miracle économique », le pardon est une sinistre plaisanterie.”

Sexto, parce que Laurent Gbagbo a ouvertement apporté son soutien à l’Alliance des États du Sahel (AES) qui se bat courageusement et fermement pour la vraie indépendance des pays africains dits francophones.
Septimo, parce que Laurent Gbagbo est le seul acteur politique ivoirien capable de nous dire les vérités qui élèvent l’homme, même si ces vérités font mal, parce qu’il n’est pas coutumier de la démagogie facile et des promesses farfelues. Je pense, par exemple, au discours prononcé par lui le jour où il fut investi comme candidat du PPA-CI à la présidentielle d’octobre 2025. Qu’il me soit permis de citer un extrait de cette importante adresse: “L’Afrique, c’est chez nous ! La Côte d’Ivoire, c’est chez nous ! Et nous ne pouvons pas laisser les autres se battre pour nous. Nous devons nous battre pour nous-mêmes.

Quelquefois, quand je parle à des plus jeunes et même à mes enfants, je leur dis que les Africains ont de grandes admirations pour les Occidentaux, mais ces Occidentaux, leurs parents et leurs grands-parents ont souffert le martyre. Les Américains dont on parle souvent, ils ont souffert de la guerre de libération contre la Grande Bretagne. Puis, ils ont fait la guerre intérieure, le Sud contre le Nord. Et tout ce que nous voyons aujourd’hui, c’est le résultat de ces guerres. Ils se sont battus pour que leur pays soit propre, pour que leur pays soit bien. Aujourd’hui, leur pays est bien ! Mais nous, on veut être bien sans se battre. On veut être bien sans traverser des périodes difficiles. Mais enfin! Mais enfin! Abraham Lincoln, il est mort. Georges Washington, qui a laissé son nom à la capitale et qui a été le premier président, il est mort. Mais ce sont leurs petits enfants qui aujourd’hui profitent du combat qu’ils ont mené! Mes chers amis, si nous voulons que notre pays soit bien, menons des combats. Sans combat, nos pays n’auront rien. Je vous le dis : en vérité, en vérité, sans combat, nos pays n’auront rien! Vous croyez que quand nous nous battons à longueur d’années, quand nous allons en prison, c’est parce que nous aimons la prison? Non, ce n’est pas parce que nous aimons la prison, c’est parce qu’il y a des combats à mener. Et ces combats, personne ne les mènera à notre place. Donc, nous nous battons.”
J’ai accepté l’invitation de venir parler avec vous aujourd’hui parce que je crois, moi aussi, que le changement auquel nous aspirons tous dans notre pays et en Afrique ne peut advenir sans combat, parce que je crois que ce combat ne doit pas être l’affaire d’un individu ou de quelques individus, parce que je suis persuadé que “ceux qui sèment dans les larmes moissonneront en chantant” (Ps 126, 5-6).
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[1] « Léopold Sédar Senghor: Négritude ou servitude? », Yaoundé, Cle, 1971. C’est une partie de sa thèse de doctorat de 3e cycle intitulée « Qu’est-ce que la Négritude? »


Jean-Claude Djéréké

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