Issa Hayatou : pour la grande et la petite Histoire

En alliant le plus confidentiel au plus largement diffusé, l’homme décédé le 8 août 2024 à Paris s’est taillé une effigie de marbre pour le panthéon.

Issa Hayatou est mort. Partout dans le monde, des documents à en-tête officiel donnent à son décès une autorité sur l’actualité. Sur les plateaux des chaînes d’info, le sujet rappelle et illustre à la fois une renommée fondée sur le mérite. Ici et là, monographies et hommages se relaient. «C’est le poids de la gloire. Le poids de l’histoire, aussi», abrège Abel Mbengue, ancien journaliste sportif et proche du disparu.

Une vie dans le foot
Désormais conférés par l’image et mis à la portée du plus grand nombre, les poids de la gloire et de l’histoire, dans toutes leurs déclinaisons, présentent une caractéristique commune: la vie d’Issa Hayatou a été un roman écrit à l’encre du football mondial. «Elle mérite d’être racontée comme telle… sans un mot de fiction», souscrit Pr Saïbou Issa. Pour avoir longuement côtoyé Issa Hayatou, l’universitaire égrène un récit épique. Ce dernier, dans sa forme et dans son fond, montre comment «un homme, longuement façonné par d’exceptionnels talents, de singulières faiblesses, avec la complicité d’un destin radicalement départi de son impartialité, a pu porter la voix du football africain pendant un quart de siècle». «Du haut de la présidence de la Confédération africaine de football, Issa Hayatou était engoncé dans l’uniforme d’un pacifiste qui aimait la guerre et la faisait pour la gagner et jamais ne s’avouait battu. Une sorte de statue du commandeur qui suscitait le respect, y compris de ceux qui ne partageaient pas ses vues.», brosse encore Pr Saïbou Issa. «Toujours à la CAF, reprend Abel Mbengue, cet homme s’était imposé une discipline de fer: six heures de sommeil, une séance de gymnastique matinale, la sacro-sainte lecture du Coran et de quelques actualités sur le football, et c’est parti pour un tour d’horloge de dossiers, réunions, discours; parfois plus quand il est en voyage. Le rythme est à peine moins soutenu le vendredi quand il se rend à la mosquée, ça permettait de souffler. Un point important: il était loin d’être fan des aspects protocolaires et guindés. À chaque rencontre, elle faisait en sorte que la convivialité prime sur tout le reste; tant et si bien que durant son bail à la CAF, il était parvenu à se tailler un rôle à sa mesure, sans précipitation, sachant toujours être à l’écoute des autres».

Un esprit
À prendre les mots par leurs sens, ce qui se dit là revient à représenter Issa Hayatou par l’intermédiaire d’une image qui, n’étant plus elle-même animée, agit, produit l’illusion du vivant. «D’où le fort retentissement émotionnel que provoque sa mort au sein de la communauté sportive internationale», explique Mgr Samuel Kleda, archevêque métropolitain de Douala. Celui-ci, dans son entendement, perçoit l’héritage d’Issa Hayatou «comme mixte d’intemporalité et de spiritualité». «Son air austère et autoritaire masquait une profonde humilité qui a souvent dicté ses actes et l’a rendu incapable de se poser en vedette. Le dire, poursuit le prélat, ne saurait être un divertissement mondain ou un ornement descriptif».

Par cette réflexion, Mgr Samuel Kleda met à disposition un instrument efficace de savoir permettant de progresser dans la connaissance d’Issa Hayatou, de son caractère, de ses mœurs au sein du monde du football. «Durant toute ma présidence à la CAF, tous les actes posés l’ont été dans le strict respect des statuts et règlements et toujours dans l’intérêt du football africain», avait déclaré le disparu, invité du magazine Dimanche Midi (édition du 14 novembre 2021) sur la CRTV-Radio. «Un vrai cas d’école qui devrait faire le bonheur de tous les dirigeants du sport», avait commenté le Sénégalais Abdou Diouf lors de la réception organisée à Dakar en l’honneur des Lions de la Téranga, vainqueurs de la Coupe d’Afrique des Nations au Cameroun. «On voit bien qu’Issa Hayatou était devenu chouchou mondial grâce à un intérim casse-gueule à la Fifa», relève Fouzi Lekjaa (Président de la Fédération royale marocaine de football) dans les colonnes du magazine sportif Onze Mondial du vendredi 9 août 2024.

Bataille
Et pourtant, ce ne sont pas les croque-en-jambes qui ont manqué. En juin 2021, Issa Hayatou avait été suspendu par la chambre de jugement de la Commission d’éthique de la Fifa pour une durée d’un an de toute activité relative au football. Il avait notamment été reconnu coupable d’avoir violé son devoir de loyauté envers la CAF, qu’il a dirigée entre 1988 et 2017, pour son action dans la signature d’un contrat avec Lagardère Sports, en septembre 2016. Celui-ci garantissait à l’entreprise française la gestion des droits TV et marketing des compétitions organisées par la CAF jusqu’en 2028. Hayatou avait saisi le TAS en août 2021 sur cette affaire, et une audience s’est tenue le 7 décembre 2021.

Et puis, coup de théâtre! Le 4 février 2022, le TAS (Tribunal arbitral du Sport) avait donné tort à la FIFA et raison à Issa Hayatou. «La décision de la chambre de jugement de la commission d’éthique de la FIFA du 17 juin 2021 est annulée», indiquait alors un document de l’instance basée à Lausanne. La FIFA renonçait ainsi à ses frais et s’engageait à verser à Issa Hayatou un montant de 5 000 francs suisses à titre de contribution à ses frais de justice et autres dépenses. C’est que le TAS avait estimé que l’intéressé n’avait pas enfreint l’article 15 du Code éthique de la FIFA.

Jean-René Meva’a Amougou

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