Pour l’ancien expert chargé des questions de défense et de sécurité à la Ceeac, les questions sécuritaires sont d’autant plus importantes que des bandes armées multiplient des exactions aux frontières.

La campagne présidentielle s’achève et les candidats ont eu l’opportunité de faire le tour de leurs offres politiques. En tant que spécialiste des questions sécuritaires, que retenez-vous s’agissant de ce segment ?
Il y a beaucoup de sujets qui n’ont pas été abordés par les candidats. Comme celui relatif à la sécurité. Or la question de la sécurité n’est pas un problème essentiellement camerounais. Le problème est sous régional et c’est dans cette optique que moi je vois ces choses. Si l’on doit par exemple se référer à l’Afrique de l’Ouest, la sécurité est une affaire régionale. Chez nous ça l’est également parce nous l’avons sur nos deux fronts avec notamment Boko Haram à l’Extrême-Nord. Le président sortant était à Maroua, il en a parlé un peu mais ce n’était pas au fond un sujet prioritaire. Il y a aussi la question du Nord-Ouest et du Sud-Ouest qui nous interpelle.
Vous allez voir que nous sommes au pif de ce problème en compagnie du Nigeria et du Tchad dans le Bassin du Lac Tchad… Donc en fait la problématique est sous régionale mais il faut la prendre à bras le corps parce qu’on ne peut pas la focaliser sur le Cameroun. Ça sort de quelque part, ça rentre au Cameroun, ça sort de chez nous, ça va quelque part. Nous sommes dans une région comme la Ceeac (Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale) qui a des instruments juridiques, comme par exemple des instruments de lutte contre la prolifération des armes, qui sont pour la plupart contraignants, mais nous ne mettons pas ça suffisamment en œuvre pour bloquer les fronts d’entrée des armes chez nous et dans les pays voisins. Parfois, ça passe même dans les pays voisins pour venir ici. L’insécurité chez nous est transfrontalière. Qu’ont dit les candidats à ce sujet ? Pas grand-chose à mon avis.
Boko Haram et la filiale locale de l’Etat islamique ont repris du zèle au niveau de nos frontières. Qu’est-ce qu’on peut attendre du futur président du Cameroun alors que la force multinationale mixte est aujourd’hui affaiblie ?
C’est le président du Cameroun mais son pays est la zone du Lac Tchad. Ce qu’on peut attendre du futur président c’est qu’il engage résolument les autres. Si la réponse commune commence à s’affaiblir qu’on essaie de comprendre pourquoi cela se passe ainsi. Pour le cas de la Force multinationale mixte qu’on essaie de s’organiser par ce que nous, nous avons peut-être les capacités, mais le théâtre des affrontements c’est au niveau de nos frontières et ça implique les autres.
Quand on fait une campagne électorale, on peut ne pas tout dire mais on doit absolument dire l’essentiel sur certains sujets. On va dire que le Cameroun fait une diplomatie silencieuse, d’accord mais sauf que quand nous voyons la coordination dans laquelle rentre le Cameroun pour la sécurité chez nous, on se rend compte que cette coordination ne marche pas pour plusieurs raisons. Le chef d’Etat au Cameroun doit absolument se réengager auprès des autres pour réactiver tous mécanismes là. Je vous prends le cas de la Ceeac.
Il y a des mécanismes quand un pays est attaqué. Nous avons le pacte de non-agression, le pacte d’assistance mutuelle. Ce dernier pacte a été activé ici en 2013 d’une manière assez simpliste au plus fort de la lutte contre Boko Haram. Par contre, nous avons vu nos pays s’engager en Centrafrique. Le Cameroun est fortement engagé en Centrafrique mais quand le Cameroun a eu ce problème, quelle aide lui a-t-on apporté ? Ce sont des choses dont les candidats à la présidentielle doivent aborder. Et d’ailleurs, il y a des signes qui ne trompent pas. Par exemple, vous n’allez pas voir un candidat ici vous faire un meeting quelque part avec le drapeau du Cameroun et celui de la Ceeac. Vous ne les verrez pas avec le drapeau du Bassin du Lac Tchad. Ça veut dire que ce n’est pas leur affaire.
Il y a un candidat aime beaucoup faire ces choses-là mais il n’a jamais que le drapeau du Cameroun. Or, on ne peut pas s’engager là-dedans sans les autres pays. Le drapeau nous amène à nous impliquer donc si nous considérons que nous appartenons à une communauté, on doit voir son drapeau. C’est cette division qu’on nous reproche et qui font penser qu’on peut se débrouiller chacun chez soi.
Les candidats ne nous ont pas suffisamment dit comment est-ce qu’ils comptent s’engager pour des questions de sécurité internationale et c’est dommage. On parle de Boko Haram, du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, d’accord. Mais tout ça est alimenté à partir de l’extérieur. Est-ce que les candidats prennent cela à cœur quand ils parlent aux Camerounais ? Or ils devaient vraiment mettre cette problématique en exergue car l’une des premières obligations d’un Etat c’est la sécurité des citoyens.
Considérez-vous donc que cette omission des candidats est un grief à mettre à leur encontre ?
Tout à fait. Quand un candidat se présente devant vous, chacun a ses attentes. Et donc à moins qu’on me dise que la sécurité n’intéresse pas les Camerounais mais il me semble que ce n’est pas le cas. Qu’est-ce qu’on en a fait ? Est-ce qu’on en a parlé ? Il me semble que les candidats n’ont pas suffisamment abordé la question de la sécurité. C’est un grief. Le silence des candidats interroge. Nous avons même des problèmes de sécurité à l’intérieur mais je n’ai pas entendu les orientations qu’on donne pour leur résolution.
Or c’est dans leur discours de campagne que se dessinent les grandes lignes de leurs actions. Nous avons beaucoup d’armes qui viennent du Nigeria, nous avons beaucoup de gens qui sont installés au Nigeria. On va nous que dire que les services de renseignement font des choses mais la vérité c’est que c’est une préoccupation majeure. Aujourd’hui, le Cameroun est une locomotive au niveau de la Cemac et de la Ceeac. Mis je peux vous dire que le mois dernier on a remplacé toute l’équipe dirigeante de la Ceeac parce qu’ils étaient en fin de mandat. Or la Ceeac venait de passer cinq ans sans parler des problèmes de sécurité et le Cameroun est dans ce genre d’organisation. Ce sont des problèmes à soulever.
Interview menée par Louise Nsana
