Genre et commerce intrarégional: la Zlecaf en «sauveur»

Comme un catalyseur pour l’autonomisation de l’économie de l’Afrique

Le potentiel de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) n’est plus à démontrer. C’est la plus grande zone d’échanges au monde, en termes de participants. Elle a commencé ses opérations le 1ᵉʳ janvier 2021 dans les domaines de l’agroalimentaire, des services et de l’industrie. Lesquels devraient augmenter respectivement de 49,1%, de 37,9% et de 35,7% en 2045, par rapport à la situation observée avant l’accord (Uneca, 2021-06). C’est dans le but de booster cette initiative que les experts du bureau sous régional pour la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique centrale (CEA) et de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) ont réuni du 18 au 19 juillet 2024 à Douala, au Cameroun, tous les acteurs de la chaîne. Ceci, afin d’«optimiser le potentiel de la Zlecaf en Afrique centrale en promouvant l’inclusivité et l’égalité de genre dans les chaînes de valeur régionales», tel est le thème de l’atelier.
«L’atelier auquel nous prenons part est une des consécrations d’un des axes stratégiques de ce cadre de coopération. C’est dans ce cadre que nous attendons que le système des Nations unies accompagne tous les efforts des gouvernements pour faire de telle sorte que la zone de libre-échange au niveau de l’Afrique soit une réalité; faire de telle sorte que le commerce interrégional dans cette sous-région puisse contribuer davantage au progrès économique, mais surtout avec un principe majeur, qui est de ne laisser personne de côté. C’est la raison pour laquelle cet atelier regroupe non seulement les femmes, mais aussi les jeunes, les personnes vivant avec un handicap et les organisations de la société civile, y compris le secteur privé», explique Siaka Coulibaly, coordonnateur résident par intérim.
La Zlecaf a vu le jour en 2018 avec pour objectif d’instaurer un marché unifié susceptible de faciliter les échanges commerciaux intrarégionaux par l’élimination des obstacles tarifaires et non tarifaires. Elle devrait dès lors estimer le commerce intraafricain à 52,3%.

Diane Kenfack

Le genre est une donnée essentielle parce que les femmes contribuent le plus au commerce intrarégional.

Selon le rapport «Genre et commerce interrégional en Afrique centrale: opportunités et défis pour une Zlecaf inclusive», les femmes représentent environ 70% des commerçants transfrontaliers informels, qui constituent 30 à 40% du commerce total en Afrique subsaharienne. Malgré cela, elles continuent de faire l’objet de discriminations et de subir des désavantages économiques. «Les femmes sont des actrices majeures du commerce intrarégional, du commerce transfrontalier dans la sous-région. Il s’agit de faire face à cette contrainte de formalité, de les aider à évoluer vers le secteur informel qui est plus visible, mieux capturé et qui peut avoir accès à des incitations. Deuxièmement, c’est d’essayer de lever cet écueil dont on parle très souvent, celui du financement. De faire en sorte que ces femmes aient accès au secteur financier, bancaire et au crédit y afférent pour pouvoir augmenter leur production, la qualité de service et compétir sur les marchés beaucoup plus larges. Le troisième élément, c’est renforcer les associations et les organisations faîtières qui mettent ces femmes ensemble pour leur permettre d’être audibles dans les sphères de développement de politique économique. Il y a des nouvelles tendances qui émergent dans la sous-région, notamment une augmentation du commerce digital. L’e-commerce est porté par des jeunes entrepreneurs qui ont un meilleur accès au marché sous-régional et qui peuvent recueillir des informations plus facilement. Il faut accompagner cette tendance en essayant de populariser l’accès à Internet et d’améliorer l’accès à l’information pour renforcer ce commerce transfrontalier», explique Jean-Luc Mastaki, directeur du bureau de la CEA pour l’Afrique centrale.

Apport des Nations unies
Le système des Nations unies apporte déjà beaucoup à ces femmes. «Au Cameroun, par exemple, le système des Nations unies à travers la CEA et les autres agences, a aidé le pays à travers la stratégie de la zone de libre-échange continentale. Nous avons mesuré de façon exacte les contributions que la zone de libre-échange pourrait apporter aux économies nationales, dans différents secteurs. Ceci a permis à ce que les pays de la sous-région soient les premiers à ratifier l’agenda basque, étant informés par des études empiriques. Nous travaillons sur l’inclusivité, c’est-à-dire ne laisser personne de côté, que le train de la Zlecaf embrasse toutes les couches sociales pour qu’elle puisse être un moteur pour une croissance inclusive. Nous essayons de continuer les plaidoyers et les renforcements des capacités des entités publiques de telle sorte qu’il y ait une coordination dans les réponses intégrées à apporter aux populations pour qu’elles puissent tirer profit», affirme le directeur Uneca, bureau sous régional pour l’Afrique centrale.
Les dames de la fédération des organisations des femmes entrepreneures de l’Afrique centrale (Fofe-AC) par la voix de Jacqueline Tientcheu, présidente, parlent des attentes de la fédération. Il est question de «faire du networking avec toutes les associations, pour qu’enfin, l’Afrique centrale s’approprie et déroule sa stratégie féminine du secteur privé pour une harmonisation dans le déploiement et dans l’appropriation de la zone de libre-échange par les femmes et les jeunes».

Recommandations
À l’issue de cette étude, des propositions de solutions sont faites. Il s’agit tout d’abord, du renforcement des capacités des institutionnelles pour une Zlecaf inclusive; de soutenir le développement de compétences pour une intégration réussie dans les chaînes de valeurs régionales et globales; soutenir la qualité pour favoriser la compétitivité et les exportations; tirer parti des zones économiques spéciales (Zes) comme leviers de l’inclusivité dans les chaînes de valeur globales; encourager le verdissement des petites et moyennes entreprises (Pme) pour tirer parti des opportunités de la Zlecaf; attirer les investissements intelligents en matière de genre ciblant les femmes et les jeunes engagés dans le commerce intra-africain.
La Zlecaf représente ainsi une opportunité significative pour redynamiser le commerce dans la sous-région, pour impulser l’industrialisation et la transformation structurelle en encourageant le développement de chaînes de valeur régionales; renforcer la compétitivité des entreprises, attirer les investissements directs étrangers; diversifiez les économies en réduisant la dépendance aux matières premières; favoriser la création d’emploi et la réduction de la pauvreté; et renforcer l’intégration et le développement économique.

Diane Kenfack

Ils ont dit

Adama Ekberg Coulibaly, chef des initiatives sous régionales Uneca, bureau sous régional pour l’Afrique centrale

«Si vous n’avez pas de plan d’industrialisation, vous ne pouvez pas disposer de produits manufacturés»

C’est un accord qui va donner la possibilité de transformer des matières premières dont nous disposons pour mettre sur le marché des produits manufacturés. La seule façon de mettre sur le marché ces produits, c’est de pouvoir équiper chaque pays d’un pôle d’industrialisation. Ce que nous avons, ce sont des stratégies d’industrialisation. Au sein de notre bureau Afrique centrale, ces cinq dernières années, nous travaillons pour que les 11 pays soient outillés d’un plan d’industrialisation. Ce qui n’est pas encore fait. Le premier pays à mettre en place le plan d’industrialisation, c’est le Tchad. Les autres ne l’ont pas encore véritablement mis en place. Si vous n’avez pas de plan d’industrialisation, vous ne pouvez pas disposer de produits manufacturés. Même si nous avons des plans d’industrialisation, la seule façon concrète de transformer nos produits, c’est d’avoir un endroit bien précis que nous appelons Zones économiques spéciales (Zes). C’est à cet endroit qu’il n’y a pas de problème d’électricité, pas de problème de financement, pas de problème d’emballage. Nous avons une seule zone économique spéciale, c’est la zone de Nkok où actuellement on transforme les produits de qualité, qui peuvent être échangés au niveau de tout le continent. À la CEA, nous avons des plans d’industrialisation, mais il faudrait les mettre en application.

Jean-Luc Mastaki, directeur pour l’Afrique centrale de la CEA

«la Zlecaf pourra permettre de retirer 30 millions de personnes de l’extrême pauvreté»

Les Pme constituent au Cameroun 95% du tissu économique. Ce sont des entreprises qui ont souvent un certain nombre de contraintes. La première contrainte est celle du financement, elles n’ont pas accès aux financements bancaires, cela limite leur possibilité de monter en échelle et en grade et d’améliorer la qualité de leurs produits. Ce sont des entreprises qui n’ont pas les compétences pour pouvoir engager leur montée vers la qualité. 95% du commerce mondial est porté par les produits normés. Pour la PME, il faut savoir où se trouvent les opportunités, les clients potentiels. C’est le défi auquel font face les PME. Quelles sont les pratiques de l’autre côté de la frontière, les règlements, il faut donc leur donner cette information; les problèmes de compétence au sein des organisations faîtières, de telle sorte qu’on les accompagne en termes de renforcement des capacités. Il y a lieu de souligner que la Zlecaf ne pourra pas atteindre les attentes en termes de perspectives et croissances. La CEA l’a démontré, la Zlecaf pourra permettre de retirer 30 millions de personnes de l’extrême pauvreté si elle est mise en œuvre de façon effective, et 70 millions de personnes de la pauvreté de façon modérée. La Zlecaf est un outil majeur pour pouvoir avancer l’agenda des objectifs de développement durable.

Sandrine Aida Koissy-Kpein, chargée des affaires économiques à l’Uneca

«On ne peut pas tout mettre sur le dos des États membres de la CEA. Il faut une coalition d’acteurs»

On a des États-membres qui sont signataires de très nombreux accords internationaux pour l’égalité de genre. Le problème n’est pas qu’il n’y a pas de volonté politique. Ce qu’il y a, c’est la mise en œuvre. Comment mettre en œuvre, on vient avec des traités à faire signer. Mais comment on accompagne nos États-membres pour s’assurer d’une mise en œuvre efficace, inclusive. Comment on s’assure qu’ils ont déjà les capacités pour la mise en œuvre, de pouvoir établir, conceptualiser dès le départ. Suivre, budgétiser, s’évaluer eux-mêmes et dire, on a ou pas réussi. Le problème, c’est vraiment la mise en œuvre. Dans ce rapport, nous essayons de proposer des solutions pour une mise en œuvre effective de la Zlecaf dans la sous-région. Mais ce qu’il faut savoir également, c’est que le chantier est vaste et qu’il n’est pas si évident. On ne peut pas tout mettre sur le dos des États-membres de la CEA. Il faut une coalition d’acteurs parmi les organisations internationales pour s’asseoir conceptualiser, budgétiser et discuter sur la mise en œuvre effective au niveau de chaque pays et au niveau régional.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

WP Radio
WP Radio
OFFLINE LIVE
Retour en haut