Pour contourner les difficultés que génère la pénurie de pièces, commerçants et acheteurs ont adopté un système orienté vers la satisfaction de toutes les parties.
À Kye Ossi, ça se passe de manière très légère entre clients et acheteurs. Les uns et les autres appellent ça «Tchang tchang». «Ce que nous désignons par cette expression, c’est le fait d’acheter une certaine catégorie de marchandises avec des pièces uniquement», renseigne Marco, homme d’affaires à la réputation bien assumée dans la zone des trois frontières. À en juger par la description qui en est faite, les idées qui escortent le «Tchang tchang» portent des significations pécuniaires. «On parle d’argent, oui, mais de pièces», précise Marco. Il n’est pas très évident que celui qui débarque ici pour la première fois comprenne quelque chose à cela. En exploitant d’autres éléments d’explication, le «Tchang tchang» est une expérience unique. «C’est notre façon à nous de contourner le manque de pièces de monnaie dans les transactions commerciales», explique Bachirou, détaillant de vivres frais au marché d’Abang-Minko’o. Des éclairages fournis par ce dernier, deux constantes sont à considérer. «C’est une règle non écrite qui s’est imposée à l’ensemble des commerçants et des clients. C’est également une règle valable pour une certaine catégorie de produits et services dont la valeur sur nos marchés est en dessous de 500 FCFA», étale encore Bachirou.
Application sur le terrain
Allons-y voir. Nous voici à la sortie nord de la frontière entre la Guinée Équatoriale et le Cameroun. «Tout va vite ici ; on n’a pas de temps à perdre. Dès que je traverse avec votre marchandise, il ne me revient pas de chercher la petite monnaie. Tout le monde sait que la traversée avec la brouette coûte 300 francs. Une fois le service rendu, comptez 300 francs pour me payer», abrège un jeune propriétaire de brouette. Dans le fond, Tchang tchang s’est donné une identité sûre dans les échanges observés au point de débarquement très prisé par les usagers clandestins. Ici, la logique de fonctionnement est éclairée par deux choses : la fluidité et la proximité. «Quand nous travaillons ici, c’est une pratique qui aide tout le monde. Je vous rends un service, vous me payez exactement le montant que vous me devez. En plus, ça permet de garder le contact avec nos clients camerounais, équato-guinéens et gabonais», explique un autre jeune. Ce que l’on entend, illustre et miniaturise une tendance. Une tendance dont les ressorts s’apprécient au prisme de la disponibilité ou de la rareté des pièces d’argent et du système commercial qui en découle.
À cet endroit où les transactions au comptant restent à la mode, les modalités d’utilisation des pièces obéissent au contexte imposé par la rareté de celles-ci. «Nous avons observé que le manque de pièces d’argent nous causait beaucoup d’ennuis depuis au moins 10 ans. Nous perdions beaucoup de clients et d’argent parce qu’on arrivait plus à faciliter les échanges», démontre Marco. Selon ce dernier, il faut être au courant de ce qui se passe entre nous commerçants. Nous ne nous aidons pas mutuellement. Et pour éviter de quémander la petite monnaie de boutiques en boutiques, le Tchang tchang permet d’être plus indépendant », poursuit-il.
Parce qu’il est considéré comme tel, ce mécanisme de mise à disposition de la petite monnaie régit ainsi tous les marchés de la zone. À Abang-Minko’o par exemple, la question ne se pose plus entre commerçants et clients. «Chacun sait qu’en achetant une marchandise qui coûte moins de 500 francs, inutile de venir présenter un billet de 1000 francs par exemple», souffle Ernest Nzue, usager gabonais. De son propos, l’on remarque que la zone des trois frontières est un parcours organisé sur le plan commercial. «Et ce au fur et à mesure que s’accentue la pénurie des pièces de monnaie dans l’espace Cemac», analyse Quentin Onambele, cadre contractuel à la délégation départementale du Commerce pour la Vallée du Ntem. «Le Tchang tchang rend compte de la capacité des usagers à s’adapter et à d’ajuster en vue de rendre la vie facile, d’abord pour eux-mêmes, les commerçants et ensuite pour les clients», poursuit notre source. Traduction : le Tchang tchang synthétise plus l’élan d’adaptation. «Un tremplin économique qui permet de surmonter certaines difficultés dans les transactions», appuie Quentin Onambele.
Beac
Dans cette auguste institution, des recettes telles que le «Tchang tchang» ne sont pas connues comme faisant partie des mécanismes formels d’échanges. D’ailleurs, l’on évite d’en parler. »Ce qui est dans l’agenda de la Banque centrale, c’est le début d’ici à la fin de l’année d’un programme d’injection des pièces de monnaie dans l’économie de la sous-région», a informé le gouverneur de la Beac, au sortir de la session ordinaire du Comité de politique monétaire du 24 juin dernier à Yaoundé. Selon le patron de la Banque centrale, «il s’agit d’un programme étalé sur cinq ans pour permettre à l’économie de la Cemac de se libérer de certaines contraintes liées à la rareté des pièces de monnaie».
Jean-René Meva’a Amougou