Causes et effets d’un phénomène.
«A cet endroit qui ressemble à un échiquier aux pièces bien ordonnées, chaque randonnée était une ode à la tranquillité, bercé par le doux murmure de la nature environnante». S’improvisant poète, Poulin Fouam Teffo Toukam se désole qu’à ce jour, la falaise de Dschang (Ouest-Cameroun) ne soit plus en harmonie avec la douceur du temps tranquille. «Chaque jour, explique le journaliste à la retraite, on dirait ce lieu redistribue les cartes de la mort, entremêlant terreurs et fatalisme». Soufflé par la force des mots, l’on s’emballe dans la série noire des accidents de la circulation: 60 morts au cours des 5 premiers mois de 2021; 21 morts et 38 blessés enregistrés en janvier 2018. 29 blessés et 55 morts, dont 30 personnes brulées le 27 janvier 2021; 5 morts et plus de 20 blessés dans la nuit du 25 au 26 mai 2021; 5 morts et au moins 25 blessés le 25 juin 2024; 7 morts et plusieurs blessés graves le 1er juillet 2024; 8 morts et 60 blessés le 4 septembre 2024. Last but not the least, le cortège macabre siffle jusqu’à ce 5 novembre 2024. Ce jour, des morceaux de falaise s’effondrent ensevelissant sous eux 11 vies humaines.
Autre comptabilité macabre
En quittant le décor ravagé de la falaise de Dschang, l’on est saisi par la chronique des éboulements de terrains meurtriers survenus au Cameroun. Sur le coup, Dr Gauthier Atangana se lance dans une comptabilité macabre. «17 juillet 2024, éboulement de terrain à Douala-Logbessou, 3 morts. 27 septembre 2024, éboulement à Chomba, un quartier situé à la périphérie de Bamenda, 3 morts. Mbankolo, effondrement de terrain provoqué par la rupture d’une digue retenant les eaux d’un lac artificiel situé en amont, bilan 29 morts le dimanche 8 octobre 2023, une dizaine de morts au quartier Damase à Yaoundé le dimanche 27 novembre 2022. Les victimes prenaient part à une cérémonie funéraire. En octobre de cette même année, un autre éboulement est survenu dans la même ville, au quartier Mimboman, faisant 3 morts. Un drame similaire s’était produit en août 2021 dans la ville de Foumban emportant un père et ses deux enfants. Mbouda dans l’Ouest-Cameroun, une ravine par évolution latérale a, en une après-midi, détruit 7 maisons et une église aux deux tiers en juillet 1997. 29 octobre 2019 à Bafoussam, un glissement de terrain s’est produit à Gouatchié, un quartier de Bafoussam. Il a fait 43 morts. 27 septembre 1990, éboulement à Oyomabang (Yaoundé), bilan: 5 morts», énumère l’environnementaliste, ancien consultant du PNUD (Programme des Nations unies pour le développement).
Analyses
En réfléchissant sur la dynamique ces éboulements de terrain meurtriers ainsi énumérés, la géophysicienne et universitaire Marcelline Fonkou s’arrête sur quelques généralités. «Ces drames surviennent sur des sites à morphologie contrastée, c’est à dire constituée de collines, d’interfluves, de montagnes ou de massifs géologiquement instables. Ces sites sont généralement liés aux glissements de terrains, à des ravinements ou à des soutirages suivis d’effondrements. Lorsque les roches offrent une résistance faible à l’érosion, que cette faible résistance soit primaire ou secondaire, car consécutive à des phénomènes d’altération, les processus d’éboulements de terrain peuvent prendre une acuité particulière. Il en est ainsi lorsque les reliefs sont caractérisés par des pentes fortes comme dans la falaise de Dschang ou à Mbankolo», soutient-elle. Plus loin, Marcelline Fonkou explique: «le contexte topo-climatique et orographique exerce le rôle majeur sur la transformation de la menace en chaîne de phénomènes générateurs de dommages. Les phénomènes géodynamiques et hydrométéorologiques induisent davantage d’effets, car la localisation et le site des villes camerounaises ne correspondent plus aux espaces peu dangereux choisis par les premiers occupants».
A ce sujet, Armand Michel Kelbe (géographe-urbaniste et chercheur en stabilité et dynamique des pentes et en évaluation des risques) est plus pointu: «Un regard exploratoire laisse voir que la plupart des grandes agglomérations du Cameroun sont localisées dans des sites contraignants, à urbanisation difficile. Les sites ayant connu un fort attrait démographique sont soit des plaines inondables soit des plateaux accidentés. La plaine côtière a connu une urbanisation fulgurante (Douala, Kribi, Limbé, etc.). Ces villes sont exposées aux inondations et à l’érosion côtière». Selon l’expert, ce n’est pas tout. «De nombreuses villes intérieures et de la partie septentrionale sont localisées dans des plaines alluviales où les inondations font des dégâts en période de crues. Sur les plateaux, l’extension spatiale des villes est contrainte par la présence de vallées inondables et des pentes plus ou moins abruptes. Le cas de Bamenda dans les hautes terres de l’Ouest est assez illustratif. Bamenda est partagée en deux par un talus avec des pentes atteignant par endroits 30 ° Au Cameroun, l’armature urbaine laisse voir un foisonnement de villes de fait, résultat d’importantes lacunes dans la planification. Nombre de ces grandes agglomérations enregistrent chaque année des aléas coûteux en vies humaines et en biens matériels. La croissance de l’habitat en elle-même constitue déjà un processus d’érosion accélérée. Lors de la construction des fondations de maisons, les déblaiements sont généralement effectués sans aucune précaution: pas de murs de soutènement pour retenir la terre déblayée. C’est l’érosion anthropique accélérée. Elle livre la terre ameublie aux eaux de ruissellement. A long terme, avec la collecte et Evacuation de plus en plus abondantes des eaux par les toits, des profondes échancrures se creusent entre les maisons. Certaines, en évoluant latéralement, déchaussent les murs et provoquent leur écroulement ou contournent et dépouillent les ouvrages de franchissement ou de canalisation. La déforestation extensive, l’agriculture et l’urbanisation anarchique doivent également être prises en compte».
Jean-René Meva’a Amougou
Marcelline Fonkou
«La route sur la falaise de Dschang a été mal construite»
Selon la géophysicienne, les glissements de terrain déclenchés par la pluie sont deux fois plus nombreux dans les secteurs traversés par des routes mal construites que sur des versants restés naturels.
En tant qu’experte en analyse et interprétations des données issues des mouvements de l’écorce terrestre, que vous inspire l’actualité macabre en provenance de la falaise de Dschang?
Les glissements de terrain font partie des dangers dans nos villes et villages. Mais depuis une vingtaine d’années, la construction de routes accroit cette instabilité et donc les risques pour les habitants et voyageurs. En fait, l’ouverture de routes crée, sur un versant naturel, quatre principales perturbations: la destruction de la végétation naturelle, la perturbation des systèmes de drainage naturels et le raidissement de la base du versant par excavation de la route. De fait, si on que considère les glissements de terrain déclenchés par la pluie sont deux fois plus nombreux dans les secteurs traversés par des routes mal construites que sur des versants restés naturels. Vous n’avez qu’à vous rappeler ce qui s’est passé à Manyaï sur l’axe routier Douala-Yaoundé en octobre 2016 et ce qu’on a vécu le 14 août 2024 sur la route Bonepouba-Yabassi.
Insinuez-vous que la route qui serpente la falaise de Dschang est mal construite?
Oui! Dans la mesure où les ingénieurs ayant défini le tracé n’ont qu’une connaissance limitée du terrain, et encore moins des événements antérieurs qui l’ont façonné et pouvant se répéter. Cette route est taillée dans des parois rocheuses. C’est pour cela qu’on observe chaque année des écroulements de blocs, à l’origine de blocages de la circulation, et parfois d’accidents mortels, faute de stabilisation des parois. Et pourquoi? C’est parce qu’on a oublié que, confrontée à un site d’aménagement difficile, cette route exigeait une stratégie multisectorielle pour la prévention des catastrophes.
Et avec le dérèglement climatique, on entre dans un domaine de risques encore plus difficiles à prévoir. Mes observations répétées sur un temps long ont permis d’acquérir une compréhension meilleure des dynamiques et des dangers qui menacent les populations: l’urbanisation accélérée non planifiée d’une part, la construction d’infrastructures par des ingénieurs souvent coupés des réalités du terrain d’autre part, tout cela accentue les dangers pour les populations, qui n’en ont souvent pas conscience. Cette expérience m’a progressivement amenée, au gré de rencontres et de réunions officielles, à exprimer certaines réserves sur l’évolution en cours et de proposer des solutions pratiques, plus adaptées à la vie réelle que vivent les habitants et aux moyens financiers dont dispose le pays.
Que préconisez-vous dans ce cas?
Il est nécessaire d’initier une démarche de recensement des phénomènes géologiques connus, par l’alimentation d’une base de données à la fois pérenne et homogène sur la totalité du territoire national. Chez nous, la connaissance des mouvements de terrain est jusqu’à présent diffuse, hétérogène et incomplète. Il faut revoir cela!
Propos recueillis par JRMA