Dans les morgues : L’ubuesque hors protocole

A travers le territoire national, il ne se passe pas de semaine sans qu’on ait droit à des situations empreintes d’ésotérisme, avec de forts accents métaphysiques qui interrogent les frontières entre la vie et la mort.

Scène de vie à l’entrée de la morgue de l’hôpital central de Yaoundé

«Tout ce qui concerne la morgue est nimbé de mystère et de magie». Les mots ont encore pris tous leurs sens à l’hôpital central de Yaoundé le 31 janvier dernier. Ce jour-là, à la morgue de cette institution sanitaire, on a grimacé. On a frissonné. Et on a également souri face à la disparition de la dépouille de Honorine Ngono Ayina (86 ans) des casiers mortuaires. Sur le coup, les proches de la défunte ont pris sur eux d’écrire une épaisse chronique: morgue bloquée et planning des levées de corps longuement perturbé.


Ce 1er février 2025, alors que l’on est toujours sans nouvelle de la dépouille de Honorine Ngono Ayina, Paulette Ngah, petite-fille de la disparue confie à Intégration que «la famille a décidé d’organiser quand même des obsèques». «On est tous effondrés. On n’a pas d’autre choix. Elle était déjà morte. Les obsèques étaient déjà prévues. Même sans le corps, nous allons faire le deuil à Talla, par Monatélé», explique-t-elle, signalant la tenue d’un office religieux. «L’Église a toujours connu de telles situations particulières. Il arrive que le corps d’un défunt soit absent parce qu’il a disparu et que l’on n’a pu le retrouver», reconnait l’abbé Joël Mongo, curé de la Paroisse d’Alam (Lékié).
Pour les personnes non concernées, ça n’a l’air de rien. Mais Paulette Ngah qui ne retrouve pas la dépouille de sa grand-mère subit, pour ainsi dire, la deuxième mort de celle-ci. Un tel supplice, d’autres l’ont vécu en début juillet 2023 à la morgue de l’hôpital Laquintinie de Douala. Cette fois-là, c’était le corps de l’avocate Yvette Chantal Tchoumba qui avait disparu des casiers, avant d’être repérée chez un particulier. «Nos morgues sont devenues des théâtres de récits aussi cocasses que surréalistes», pointe un officier de police. «A Yaoundé, par exemple, il ne se passe pas de semaine sans qu’on ait droit à de telles situations. Toutes sont tous empreintes d’ésotérisme et certaines ont de forts accents métaphysiques, interrogeant bien souvent les frontières entre la vie et la mort», appuie le flic.


Affiche
En évoquant des cas qui ont fait l’objet d’enquêtes policières, l’anthropologue Matthieu Nlep estime que «de plus en plus, la morgue devient non pas une enseigne très sûre, mais un lieu où s’écrivent des histoires de cadavres à la fois sordides, pathétiques et tragiques». Dans son fond, un tel propos est significatif de nombreux faits divers enregistrés ici et là dans quelques morgues du pays. «A Bafoussam (région de l’Ouest), au mois d’août 2020, à quelques jours d’intervalle, deux décès constatés à domicile avaient donné lieu à l’ouverture par le parquet d’enquêtes aux fins de recherche des vraies identités de deux femmes décédées et dont les corps avaient été déposés dans une morgue. Les noms de famille de ces femmes étaient identiques et les prénoms très semblables, sans qu’il existe un lien entre elles, et leurs dépouilles étaient des dépouilles putréfiées, rongées par des souris», raconte Matthieu Nlep.
Pour avoir régulièrement investigué à la suite des plaintes déposées par des familles, Maître Gérôme Kita Bouba faits part «des incidents quotidiens, parfois tragiques, parfois hilarants, qui font que chaque jour est différent du précédent». «Très souvent, il y a des volées de bois verts entre des familles endeuillées et des préposés de morgue. Ces derniers, voulant paraître comme des dieux vivants dans leur spécialité, se montrent irascibles, intransigeants, arrogants», décrit l’avocat au barreau du Cameroun.

Ongoung Zong Bella

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