Daniel Nkomba : «Tous les pays de la Cemac sont des partenaires obligés mais leur rivalité et leur méfiance réciproque se nourrissent d’une même ambition: le leadership»

L’internationaliste camerounais brosse le tableau des rapports de forces dans la sous-région, fait le bilan du leadership économique du Cameroun et élabore des perspectives.

A la lecture des actualités sous régionales les plus récentes, peut-on parler de crise de leadership entre les pays de la Cemac?
Afin de parvenir à une définition plus claire du leadership au sein de l’espace Cemac, nous dirons qu’il désigne la capacité d’un pays à favoriser au sein de la communauté internationale la réalisation d’objectifs communs spécifiques, par l’exercice de son influence et avec l’appui d’autres protagonistes.


En sa qualité d’unique superpuissance de la Cemac, le Cameroun a déployé tous les efforts possibles pour asseoir un ordre sous régional placé sous son autorité. Cette position quasi naturelle lui a permis d’exercer un pilotage dans des domaines distincts, ou sur diverses questions géopolitiques qu’on ne saurait énumérer ici. C’est dire que, par des voies de la diplomatie formelle ou informelle, le Cameroun s’emploie à définir les buts communs en fonction de sa propre expérience, de ses valeurs et intérêts bien compris, tandis que le second met l’accent sur une définition collective de l’objectif à affecter aux actions communes, en fonction de l’expérience des différents États, de leurs valeurs et de leurs intérêts partagés. En effet, le Cameroun a pris l’habitude de définir l’objectif commun à tous les six Etats de la Cemac, en fonction de ses propres préférences et intérêts. Mais lorsqu’un tel objectif ne correspond pas aux intérêts des autres pays, cette forme de leadership, me semble-t-il, échoue à résoudre les problèmes de la Cemac.


Insinuez-vous que le leadership du Cameroun commence à être contesté?
De notre point de vue, la question de savoir si le Cameroun devrait ou non assumer une plus grande responsabilité internationale et un rôle moteur ne se pose plus. La puissance dirigeante est-elle reconnue par les autres membres de la Cemac? La question est essentielle. Un niveau élevé de reconnaissance, c’est la garantie d’un soutien volontaire et affirmé de la part des autres acteurs, ce qui se traduira par une plus grande efficacité. Une faible reconnaissance, à l’inverse, générera moins de coopération de la part des autres protagonistes: la capacité du leader à diriger s’en trouvera amoindrie. Pour asseoir sa légitimité, le leader doit intégrer les intérêts et les aspirations de ses suiveurs lorsqu’il fixe l’objectif de son leadership. Il aura de surcroît intérêt à adopter, pour l’essentiel, une méthode de leadership attrayante et un style non hiérarchique. C’est pourquoi il ne faut pas se demander si le Cameroun doit ou non tenir un rôle de leader économique de la Cemac, mais quelle est la meilleure manière, pour lui, de définir ce rôle et de l’assumer. Il ne faut pas perdre de vue que le leadership, en fait, revient à une question d’influence, et à la façon dont on l’utilise. Quand les États-Unis, pour influencer, utilisent leur pouvoir d’attraction, leur leadership gagne en popularité. L’ouverture de leur vaste marché intérieur à leurs partenaires commerciaux constitue de longue date l’une des clés de leur attractivité et de leur influence dans le monde. En revanche, lorsque les États-Unis emploient des méthodes coercitives, qu’elles soient militaires ou économiques, leur réputation et la légitimité de leur leadership s’émoussent.
Autre question à prendre en considération: l’ampleur de la responsabilité et du coût à assumer par le leader. A-t-il atteint l’objectif préalablement défini? C’est la réponse à cette question qui devrait servir à évaluer son action. Pour juger efficace le leadership international, il est impératif qu’il ait rempli son objectif. Dans un monde de plus en plus complexe, les populations s’attendent à ce que les dirigeants internationaux relèvent ces défis. Et le leader doit trouver la meilleure façon d’améliorer l’efficacité de son leadership. L’idéal, c’est un leadership international qui réussisse à régler les problèmes et à parvenir au développement durable.
En jetant le regard sur le rapport de force qui semble opposer le Cameroun à d’autres pays de la Cemac, il ne faut pas perdre de vue que ce sont des partenaires obligés mais leur rivalité et leur méfiance réciproque se nourrissent d’une même ambition, le leadership dans la Cemac. Toutefois, en zone Cemac, le phénomène n’apparaît pas encore aussi évident qu’il peut l’être ailleurs.


Cette situation est-elle le résultat de la crise économique qui tourmente les pays de la Cemac?
L’ascension de la puissance économique du Cameroun constitue l’un des faits majeurs des vingt dernières années. La résilience de l’économie camerounaise est un sérieux critère à prendre en compte, à rebours de l’image trompeuse, mais renforcée par la crise, d’un Cameroun affaibli et glissant inexorablement vers un déclin programmé. Bien sûr, la crise économique affecte très durement le Cameroun et s’ajoute, dans une sorte de «double peine», à la crise de gouvernance locale. Pour autant, le pays conserve de remarquables atouts; l’analyse des futurs équilibres en zone Cemac doit donc les prendre pleinement en compte, sans céder au «déclinisme» qui oppose trop souvent un Cameroun anémié et vieillissant à d’autres pays vus comme dynamiques et conquérants.


Ne pensez-vous pas que compte tenu de la fragilité des scénarios économiques à court terme, la puissance économique du Cameroun pourrait devenir bien modeste par rapport à son poids stratégique dans la zone Cemac?
Oui! On pourrait l’envisager puisque de ces scénarios économiques dépendront les équilibres géopolitiques de demain. Il s’agit de l’interaction entre l’économie et la stratégie, car chaque État qui a dominé dans un ensemble sous régional s’est efforcé d’accroître sa richesse et sa puissance, de devenir à la fois riche et fort, ou de le rester.


Puisqu’on y est, au-delà des formules, quelles sont les implications de ces logiques de puissance pour la future configuration économique et stratégique de la Cemac?
Partenaires économiques obligés mais rivaux stratégiques, les pays de la Cemac restent divisés par le poids du passé mais surtout par leurs ambitions. Aucun ne peut prétendre pour l’instant à une suprématie globale dans la région. Est-il illusoire ou prématuré d’envisager que le leadership puisse être partagé dans un véritable partenariat qui contribuerait grandement à la prospérité et à la stabilité de l’ensemble de la région?
En tout état de cause, ce débat sur l’avenir de la Cemac ne devrait pas laisser nos dirigeants indifférents, sous peine de se laisser marginaliser dans la redistribution des cartes qui va s’opérer.


Votre mot de fin?
Nous pensons ici que Le Cameroun a besoin d’un nouveau modèle de leadership sous-régional. Un nouveau modèle, à même d’orienter sa participation à la gouvernance sous régionale, un modèle capable de permettre à la Cameroun d’exercer sa compétence en la matière et, corrélativement, d’éviter les malentendus qui identifient le leadership à la domination, à l’égoïsme, à la coercition et au paternalisme.


Propos rassemblés par JRMA

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