LES CHRONIQUES DE JEAN CLAUDE DÉKÉRÉ

LES CHRONIQUES DE JEAN CLAUDE DÉKÉRÉ

Un Libanais maire en Côte d’Ivoire ? Une idée séduisante, mais freinée par quatre réalités

L’élection de Zohran Mamdani, Américain d’origine indienne, à la tête de la mairie de New York continue de susciter des débats à travers le monde. Inspirés par cet exemple, certains Libanais vivant en Côte d’Ivoire ont exprimé le souhait qu’un des leurs puisse, un jour, devenir maire, député, voire ministre dans notre pays d’accueil. Pourquoi pas ?, pourrait-on dire, car la Côte d’Ivoire a toujours été un pays ouvert, hospitalier, généreux à l’égard des étrangers. Peu de nations au monde ont accueilli autant d’étrangers que la nôtre, et peu leur ont offert autant d’opportunités économiques et sociales. Pourtant, un tel rêve paraît difficile à concrétiser aujourd’hui, et cela pour quatre raisons principales qui tiennent moins à la loi qu’à la mémoire collective et aux rapports humains. Ces raisons ne relèvent pas de la haine ni du rejet, mais d’une série de comportements, d’attitudes et d’histoires qui ont nourri la méfiance. La première raison est morale. Les Libanais sont souvent perçus, en Afrique de l’Ouest, à travers le prisme de ce que subissent les Africains subsahariens au Liban. Les reportages, les témoignages et les enquêtes d’ONG ont révélé les traitements inhumains infligés à de nombreux travailleurs africains, en particulier des femmes venues du Ghana, du Nigéria, d’Éthiopie, du Sénégal ou de Sierra Leone. Les images d’Africaines battues, privées de salaire, retenues contre leur gré, parfois poussées au suicide, ont profondément choqué les consciences africaines. Ces pratiques, largement documentées, sont liées au système dit de la kafala, qui donne à l’employeur un quasi-pouvoir de propriété sur le travailleur. Même si tous les Libanais n’y participent pas et que certains dénoncent eux-mêmes ces abus, le symbole reste violent: comment comprendre que ceux dont les compatriotes maltraitent des Africains au Moyen-Orient puissent aujourd’hui prétendre les diriger politiquement en Afrique ? Ce passé récent crée une blessure de confiance. Il faut la reconnaître et la soigner avant d’espérer bâtir une fraternité civique solide. Les conditions de travail en Côte d’Ivoire: une injustice prolongée Le deuxième obstacle tient aux conditions de travail imposées, dans certains cas, aux employés ivoiriens par des employeurs d’origine libanaise. Beaucoup se plaignent de salaires très bas, d’horaires épuisants, de l’absence de contrats en bonne et due forme, ou du non-respect des congés et des droits sociaux. Ces pratiques, bien que non généralisées, ternissent l’image d’une communauté souvent prospère et économiquement influente.Le ressentiment social se nourrit de cette impression d’exploitation. Dans une société où la pauvreté reste élevée, voir des étrangers s’enrichir tout en payant mal leurs employés crée une fracture morale et politique. On ne peut prétendre à la direction d’une commune ou d’une circonscription si une partie importante de la population vous perçoit comme injuste ou insensible à la souffrance des travailleurs. Troisième critique: la corruption. De nombreux Ivoiriens accusent certains opérateurs économiques étrangers — parmi lesquels des Libanais — de corrompre des agents de l’administration, des collecteurs d’impôts, voire des forces de l’ordre, afin d’échapper à leurs obligations fiscales ou de régler des litiges à leur avantage. Même si ces pratiques ne concernent pas tous les entrepreneurs, elles alimentent le sentiment que la loi ne s’applique pas de la même manière à tous. Dans l’esprit du citoyen, le pouvoir économique se confond alors avec l’impunité. Or, pour prétendre à des responsabilités politiques, il faut être au-dessus de tout soupçon. Tant que ce climat de méfiance persistera, les ambitions politiques des ressortissants libanais resteront limitées, quel que soit leur mérite individuel. Le repli communautaire: obstacle à la confiance Le quatrième frein est sociologique. Les Libanais, en Côte d’Ivoire, forment une communauté soudée, mais souvent fermée. Ils vivent entre eux, se marient entre eux, se fréquentent majoritairement entre eux. Ce choix de préserver leur identité culturelle et religieuse est compréhensible ; toutefois, il renforce l’idée d’un repli communautaire, d’une distance sociale qui empêche la véritable intégration. Dans l’imaginaire populaire, cette séparation volontaire se traduit par une suspicion : “Ils ne veulent pas vivre avec nous, mais ils veulent nous diriger.” Or, la politique repose avant tout sur le lien social, la proximité et la confiance. Tant que les barrières symboliques ne tomberont pas, la conquête du cœur électoral ivoirien sera difficile. Un dialogue de vérité pour dépasser la méfiance Ces quatre raisons n’ont pas vocation à nourrir la haine, mais à rappeler une vérité: la confiance politique ne se décrète pas, elle se mérite. Si un jour un Libanais souhaite se présenter à une fonction publique en Côte d’Ivoire, il devra incarner une autre manière d’être, un rapport nouveau aux citoyens, fondé sur la justice, le respect et la transparence. Il faudra aussi que la communauté libanaise, dans son ensemble, s’engage dans un processus de réconciliation symbolique avec l’Afrique subsaharienne. Cela passe par la condamnation claire des mauvais traitements infligés aux Africains au Liban, par des gestes de solidarité envers ces victimes et par un effort visible pour améliorer les conditions de travail de leurs employés ici. Il ne s’agit pas de repentance, mais de responsabilité. De leur côté, les Ivoiriens doivent éviter la tentation de la généralisation. Tous les Libanais ne sont pas coupables des abus constatés. Beaucoup vivent paisiblement, respectent la loi, paient leurs impôts et participent au développement du pays. Reconnaître ces différences, c’est aussi une marque de maturité. La politique, miroir de la justice sociale Un Libanais maire en Côte d’Ivoire ? L’idée n’est pas impensable. Elle pourrait même symboliser une nouvelle étape de notre ouverture. Mais cette ouverture exige d’abord la vérité, la justice et la réciprocité. L’Afrique ne peut pas tendre la main à ceux qui la méprisent ailleurs, ni confier le pouvoir local à ceux qui exploitent ses enfants sur place. Les Libanais de Côte d’Ivoire ont, pour beaucoup, contribué à la vitalité économique du pays. À eux maintenant de montrer, par des actes, qu’ils partagent nos valeurs de respect et d’égalité. Alors, peut-être, un jour, les Ivoiriens verront en eux non plus des étrangers fortunés, mais des compatriotes de cœur, capables de servir la cité avec loyauté et humanité. Car la vraie

LES CHRONIQUES DE JEAN CLAUDE DÉKÉRÉ

Quand l’ONU se trompe de sujet

Le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, le Mozambicain Leonardo Santos Simão, a adressé hier une lettre de félicitations à Simone Ehivet pour « sa participation constructive et sa conduite patriotique exemplaire pendant l’élection présidentielle d’octobre ». * À première vue, le geste semble courtois, diplomatique, presque anodin. Mais, en réalité, ce genre de courrier ne mérite qu’un seul sort: être déchiré et jeté à la poubelle. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas cela le sujet. Le véritable sujet, celui que Simão se garde bien d’évoquer, c’est que le processus électoral ivoirien a été profondément vicié. Fichier électoral truffé de doublons, commission électorale indépendante outrageusement déséquilibrée, climat d’intimidation généralisé : tout a concouru à éloigner les électeurs et à discréditer le scrutin. Dans plusieurs localités, le vote n’a même pas pu se tenir, et pourtant, comme par magie, les autorités ont annoncé un taux de participation supérieur à 50 %. Simone Ehivet, candidate et témoin direct de ces irrégularités, les a dénoncées publiquement. Qu’un représentant onusien, censé incarner la neutralité et la rigueur, fasse l’impasse totale sur ces faits graves pour se contenter de féliciter la « participation » d’une femme injustement marginalisée, c’est non seulement indécent, mais insultant pour la vérité. Cette lettre est le symbole d’une hypocrisie internationale devenue coutumière : celle qui préfère saluer la forme et ignorer le fond, féliciter la patience plutôt que défendre la justice. Une ONU aveugle ou complice ? Je ne sais pas quel accueil Simone Ehivet réservera à ce courrier. Pour ma part, je pense que nous devrions apprendre à ignorer tout ce qui vient de l’ONU — ses délégations, ses rapports, ses lettres de complaisance. Car cette organisation, qui se prétend gardienne de la paix mondiale, n’a jamais su résoudre valablement un seul des problèmes posés à la conscience de l’homme par le colonialisme, comme le rappelait Frantz Fanon. Depuis sa création, l’Organisation des Nations unies s’est régulièrement alignée sur les puissances dominantes, légitimant des guerres injustes et des interventions étrangères destructrices. Fanon l’avait déjà dénoncé dans « Afrique Action » du 20 février 1961 : « Chaque fois qu’elle est intervenue, c’était pour venir concrètement au secours de la puissance colonialiste du pays oppresseur. » Rien n’a changé. Les mots de Fanon résonnent aujourd’hui avec la même force qu’hier, tant l’ONU continue de se montrer partiale, inefficace et soumise aux intérêts des grandes puissances. Comment penser, un seul instant, que cette organisation, qui a installé Alassane Ouattara au pouvoir en 2011 avec l’appui des États-Unis, de la France, de l’Union européenne et de la CEDEAO, puisse aujourd’hui le sanctionner ou même le contredire ? L’ONU ne critique jamais ses créatures. Elle ne désavoue jamais ses choix, même lorsqu’ils plongent des nations entières dans le désordre et la division. Dès lors, la lettre de félicitations adressée à Simone Ehivet n’est qu’un simulacre de diplomatie, un texte creux destiné à entretenir l’illusion d’un dialogue inclusif, tout en évitant soigneusement d’aborder les sujets qui fâchent. Derrière les formules polies et les louanges protocolaires, c’est le silence sur les irrégularités, le déni des violences, et l’oubli volontaire de la souffrance des électeurs. L’amnésie morale de Leonardo Simão Ce qui rend la situation encore plus affligeante, c’est qu’elle émane d’un homme qui devrait connaître le prix de la liberté. Leonardo Santos Simão est Mozambicain. Son pays, le Mozambique, a conquis son indépendance au terme d’une longue lutte armée menée par la FRELIMO et incarnée par Samora Machel, figure emblématique du combat anticolonial africain. Machel, comme Amílcar Cabral ou Agostinho Neto, croyait à une Afrique digne, debout, libérée de la tutelle des puissances étrangères. Comment donc comprendre qu’un fils de cette histoire glorieuse, héritier d’un peuple qui s’est libéré dans le sang et la dignité, puisse aujourd’hui se mettre à la remorque d’une organisation partisane et inefficace ? Comment un Africain conscient du prix de la souveraineté peut-il se contenter d’un rôle de messager docile, au service d’une ONU qui n’a jamais défendu véritablement la cause africaine ? En choisissant de féliciter Simone Ehivet sans mentionner les injustices qu’elle a subies, Simão trahit la mémoire de son propre peuple. Il trahit aussi l’esprit de Samora Machel, qui disait: « La solidarité ne signifie pas applaudir l’injustice, mais la dénoncer, même quand elle vient de nos amis. » Il aurait pu utiliser sa position pour attirer l’attention du monde sur les dysfonctionnements du processus électoral ivoirien, pour exiger des réformes, pour encourager une vraie réconciliation. Au lieu de cela, il a préféré la voie facile de la diplomatie creuse. Notre vrai problème: la naïveté Au fond, le problème n’est peut-être pas l’ONU elle-même. Le véritable problème, c’est notre propre naïveté, notre immaturité politique, notre incapacité à comprendre que personne ne viendra défendre nos intérêts à notre place. Nous continuons à attendre des solutions de l’extérieur, à espérer une parole salvatrice des chancelleries occidentales, à croire que les institutions internationales se soucient réellement de la démocratie en Afrique. C’est une illusion dangereuse. L’histoire récente est pourtant claire: chaque fois que ces organisations sont intervenues sur le continent, elles l’ont fait pour défendre les intérêts des puissances dominantes, jamais ceux des peuples. Que ce soit en Libye, en Côte d’Ivoire, en République démocratique du Congo ou ailleurs, les conséquences de leurs « interventions humanitaires » ont toujours été le chaos, la division et la perte de souveraineté. Nous devons donc apprendre à reprendre notre destin en main, à bâtir nos propres institutions de régulation, nos propres mécanismes d’observation électorale, nos propres modèles de gouvernance. Tant que nous continuerons à attendre la bénédiction ou la désapprobation de l’ONU, de la CEDEAO ou de l’Union européenne, nous resterons des peuples sous tutelle. Se libérer de l’illusion La lettre de Leonardo Simão à Simone Ehivet n’est pas un geste anodin. C’est le symbole d’un système international qui feint de promouvoir la démocratie tout en protégeant les régimes dociles. C’est aussi le miroir de notre propre faiblesse: celle d’espérer encore une reconnaissance venue d’ailleurs.

LES CHRONIQUES DE JEAN CLAUDE DÉKÉRÉ

L’hypocrisie d’une partie de l’opposition ivoirienne

Il y a des renversements qui heurtent la raison et la dignité. Ce qu’on a dénoncé avec force hier, on le cautionne aujourd’hui. Tel est, malheureusement, le spectacle auquel on assiste depuis quelques semaines dans certains cercles de l’opposition ivoirienne. Même parmi des partisans de Laurent Gbagbo et Tidjane Thiam que je croyais lucides, ouverts d’esprit et intègres, on entend désormais des voix favorables à la participation de leurs partis aux législatives organisées par la Commission électorale indépendante (CEI) qu’ils ont vigoureusement décriée avant la présidentielle d’octobre 2025. Comment expliquer qu’on puisse vilipender une institution pour sa partialité et, quelques jours plus tard, accepter de fonctionner avec elle comme si de rien n’était ? Cette contradiction n’est pas du débat raisonné. C’est de l’enfumage. C’est une pirouette morale destinée à masquer des intérêts inavoués. L’argument mythique des précédents : un leurre Les défenseurs de la participation avancent un argument souvent répété: autrefois, le PDCI, le RDR et le FPI avaient pris part aux législatives même lorsqu’ils avaient été exclus de la présidentielle. De là, on conclut que rien n’empêche le PPA-CI et le PDCI d’aller aux législatives malgré la CEI décriée. Cet argument tient pourtant sur du vent. Premièrement, confondre des situations politiques différentes en les traitant de précédents identiques est un abus d’analogie. Deuxièmement, invoquer ces précédents sans reconnaître la profondeur de la crise institutionnelle actuelle revient à justifier la normalisation d’une injustice. L’éthique sacrifiée sur l’autel du clan Il ne faut pas se leurrer: beaucoup de ces discours ne visent pas le bien commun, mais la préservation d’intérêts personnels ou claniques. Le vrai moteur de cette volte-face, pour nombre d’acteurs, n’est pas l’amour du pays, mais la défense d’un frère de la même ethnie — même s’il commet des erreurs ou s’il prend des décisions condamnables. On retrouve là la vieille logique patrimoniale: la solidarité d’abord pour le clan, la morale et la justice ensuite. À l’heure où des Ivoiriens croupissent derrière les barreaux pour des raisons politiques, à l’heure où des familles pleurent des morts et portent les blessures insupportables de la crise préélectorale, accepter d’aller aux législatives avec la CEI décriée revient à tourner le dos à la souffrance collective. C’est indécent. C’est impardonnable. Il est vain de nier l’existence d’un facteur matériel puissant dans cette équation. Le salaire mensuel d’un député — 3 millions de francs CFA — est, dans notre pays, une tentation réelle. Pour des citoyens qui peinent à survivre, un tel revenu est attractif. Mais réduire l’engagement politique à la recherche d’un revenu, c’est déshonorer la vocation publique. Ce qui caractérise, hélas, une partie de ces pseudo-opposants, c’est la cupidité et la légèreté morale. Ils vocifèrent quand il s’agit d’attaquer des adversaires hors du champ institutionnel, mais deviennent étonnamment muets quand il s’agit de défendre les principes de la démocratie face à une CEI discréditée. L’appât du gain finit par dicter des choix politiques: mieux vaut un siège payé que la lutte désintéressée pour la justice et la transparence. Admettons, pour l’instant, que le PPA-CI et le PDCI obtiennent quelques sièges aux législatives sous la CEI actuelle. Quelle sera alors la portée réelle de ces victoires ? Croire qu’ils pourront être majoritaires et résister à un exécutif aux commandes de tous les leviers de l’État est illusoire. N’a-t-on pas déjà vu, par le passé, comment un découpage électoral léonin et des mécanismes administratifs biaisés peuvent offrir au pouvoir une écrasante majorité ? Le RHDP lui-même s’était naguère octroyé 89 sièges grâce à un découpage favorable — un précédent qui devrait servir d’avertissement, non d’encouragement. Il est donc illogique, et même naïf, de penser qu’une participation timide au jeu truqué du pouvoir conduira à des résultats probants. Au contraire, cela légitimera les institutions viciées, fragmentera encore plus l’opposition et renforcera la machine du pouvoir. Traîtres ou complices ? La responsabilité des partis participants À la lumière de ce qui précède, il faut parler clair. Les partis qui décideront de participer aux législatives malgré la CEI non réformée devront être regardés comme complices de la stratégie du pouvoir. Ils ne seront pas de simples acteurs politiques. Ils seront, aux yeux d’une grande partie du peuple, des traîtres à la patrie, des éléments qui, par leur consentement, participent à la destruction de la Côte d’Ivoire. La politique ne se conçoit pas comme une succession de combinaisons personnelles destinées à sauver des élus. Elle est une responsabilité envers la nation. Qui trahit la nation pour un siège, trahit l’avenir des générations. Qui accepte d’entrer dans un parlement né d’une mascarade électorale participe activement à la banalisation de l’injustice. Appel à la lucidité et à la défense du bien commun Face à cette crise morale et politique, il est urgent que les Ivoiriens se réveillent et jugent librement les actes de leurs dirigeants. Les électeurs doivent comprendre que la quête du pouvoir personnel ou du confort matériel ne peut primer sur la défense des institutions démocratiques et le respect des vies sacrifiées. Aux partisans de Gbagbo et Thiam — et à tous les citoyens épris de justice — je lance un appel: ne vous laissez pas ensorceler par le chant des sirènes qui promettent des sièges parlementaires et le confort matériel. Ce n’est pas le moment de céder au chantage du ventre ni aux solidarités ethniques. Le moment exige courage, esprit de sacrifice et loyauté envers la nation. L’honneur d’un peuple vaut plus que le confort d’un élu Celui qui, aujourd’hui, choisit la facilité — accepter une CEI non réformée en échange de quelques députés — signe l’acte de trahison contre l’espoir démocratique. La Côte d’Ivoire mérite mieux que des marchandages d’appareils politiques et des compromissions qui enterrent la vérité. Que les partis qui pensent participer aux législatives méditent ceci: l’Histoire ne retient pas ceux qui sauvent un fauteuil. Elle retient ceux qui sauvent une nation. Plutôt que d’engranger des sièges au prix de la dignité nationale, il est préférable d’être du côté de la mémoire, de la justice et du peuple. L’honneur d’un pays vaut

LES CHRONIQUES DE JEAN CLAUDE DÉKÉRÉ

Mener le vrai combat

En France, comme aux États-Unis, j’ai eu l’occasion de prier dans une église évangélique, méthodiste ou baptiste. Et la chose qui m’a le plus frappé, c’est que j’y ai rencontré des hommes et femmes de toutes langues, cultures et nations: Asiatiques, Africains, Européens, Américains. À partir de cette expérience, je me suis dit que l’Église évangélique et les autres Églises chrétiennes sont catholiques car le mot grec “katholicós” signifie “universel”. Je me suis ensuite dit que toutes les Églises qui se réclament du Christ sont évangéliques puisque l’évangile y est proclamé, qu’elles sont baptistes puisque le baptême y est pratiqué, qu’elles sont méthodistes puisqu’elles utilisent différentes méthodes pour accomplir la même mission évangélisatrice. Ces communautés ne devraient donc pas se combattre sur des détails et futilités (par exemple, pratiquer le baptême par aspersion ou par immersion), ni chercher à faire du débauchage (“quitte ton Église et viens chez nous”). Le vrai combat qui leur incombe est comment être “la lumière du monde et le sel de la terre”, comment impacter le monde dans lequel elles vivent. Elles devraient se demander pourquoi des groupes moins nombreux (Francs-maçons, Rosicruciens ou Illuminati) dirigent le monde, imposent leur agenda à tout le monde. Le fait d’être peu audibles sur les grands défis devrait plus inquiéter les chrétiens que pourquoi certains prient assis ou en langues. Les chrétiens africains ne devraient-ils pas songer à se mettre ensemble pour mener des actions qui libèrent l’homme africain de l’ignorance, de la misère, de l’injustice et de l’oppression? Jean-Claude Djéréké

LES CHRONIQUES DE JEAN CLAUDE DÉKÉRÉ

L’opposition ivoirienne face à la répression

Le Front Commun, coalition regroupant le PDCI et le PPA-CI, a tenu une conférence de presse, ce mercredi 29 octobre 2025 dans un climat politique de plus en plus tendu. L’objectif principal de cette rencontre était de dénoncer la répression grandissante dont sont victimes les deux formations politiques majeures de l’opposition. Les responsables de ces partis ont alerté l’opinion nationale et internationale sur les arrestations arbitraires, les intimidations, les menaces et les restrictions imposées à leurs militants et cadres. Selon eux, ces pratiques autoritaires visent à affaiblir l’opposition et à préparer une nouvelle mascarade électorale, semblable à celle du 25 octobre dernier. Le Front Commun estime que, si cette persécution ne cesse pas, la participation de l’opposition aux prochaines élections législatives sera sérieusement compromise. Mais peut-on parler d’élections législatives tant que des centaines d’Ivoiriens restent détenus pour leurs opinions politiques et que la Commission électorale indépendante (CEI) demeure inféodée au pouvoir en place? L’urgence n’est pas électorale, mais politique et morale Certes, le salaire mensuel d’un député — 3 millions de francs CFA — est, dans le contexte ivoirien, une somme considérable. Dans un pays où la majorité des citoyens peinent à joindre les deux bouts, où le chômage et la pauvreté gangrènent les foyers, cette rémunération peut susciter des convoitises et des ambitions. Cependant, la priorité n’est pas là. À notre avis, l’heure n’est pas à la recherche de sièges à l’Assemblée nationale, mais à la libération du peuple ivoirien. Des centaines d’Ivoiriens sont encore injustement incarcérés pour leurs opinions politiques, pour avoir manifesté ou simplement exprimé leur désaccord avec le pouvoir. Avant de penser à briguer un mandat de député, il faut redonner la liberté à ces prisonniers politiques, symboles de la dérive autoritaire que connaît la Côte d’Ivoire. Il faut le dire sans détour: Alassane Dramane Ouattara ne peut être considéré comme un président élu, car il n’y a pas eu d’élection véritable le 25 octobre. Le scrutin, boycotté par une large partie de la population et entaché de fraudes massives, n’a été qu’une parodie de démocratie, un simulacre destiné à légitimer un pouvoir déjà confisqué. Dans ces conditions, la priorité pour l’opposition ne doit pas être de participer à de nouvelles élections organisées par les mêmes institutions discréditées, mais plutôt de rendre le pays ingouvernable par des actions coordonnées et pacifiques de désobéissance civile. Il s’agit de bloquer le système, de paralyser les structures de domination, et d’amener le régime à céder sous la pression populaire et politique.Pour atteindre cet objectif, une condition est indispensable: l’unité sincère de l’opposition. Les opposants doivent cesser de se regarder en chiens de faïence, de se méfier les uns des autres ou de ressasser les querelles du passé. Les candidats retenus et les candidats recalés lors du dernier scrutin doivent se retrouver autour d’une même table, dans un sincère examen de conscience. Il ne s’agit plus de se reprocher mutuellement les erreurs du passé, mais de tirer les leçons de l’échec collectif. La rancune doit être jetée à la rivière. Le peuple ivoirien, fatigué des divisions et des trahisons, attend de ses leaders du courage, de la lucidité et du patriotisme. Une opposition unie, cohérente et disciplinée peut encore faire tomber ce régime autoritaire. Mais cette chute ne viendra pas d’un miracle. Elle dépendra de la capacité des forces démocratiques à s’organiser, à élaborer des stratégies efficaces de mobilisation et à maintenir la pression constante sur le pouvoir. La désobéissance civile, les manifestations pacifiques, le boycott des produits français et la résistance citoyenne sont autant d’armes politiques légitimes lorsque toutes les voies institutionnelles ont été confisquées. Penser déjà aux législatives est une faute morale et politique Commencer dès maintenant à penser aux prochaines élections législatives serait une erreur stratégique et une faute morale.D’une part, ce serait une incohérence totale, puisque la CEI, qui a été dénoncée à juste titre pour sa partialité et son manque de transparence, n’a pas encore été réformée. Comment prétendre aller à de nouvelles élections avec les mêmes règles du jeu biaisées ? D’autre part, cette attitude reviendrait à oublier les victimes des violences politiques récentes: les morts, les blessés et les prisonniers de la crise préélectorale et électorale. Participer à des législatives dans ces conditions, c’est banaliser la souffrance du peuple ivoirien et fermer les yeux sur l’injustice. C’est aussi donner au pouvoir une légitimité qu’il ne mérite pas. Le peuple n’est pas dupe. Les Ivoiriens étaient convaincus que, si tous les opposants s’étaient unis derrière un seul candidat, ils auraient voté massivement pour lui. Ce rêve d’unité, une fois encore, a été brisé par les ambitions personnelles, les calculs partisans et les ego démesurés. Le résultat, nous le voyons aujourd’hui: un régime conforté dans sa domination, une opposition affaiblie et un peuple désillusionné. L’heure de la responsabilité et du courage Il est temps, plus que jamais, que les leaders de l’opposition mettent l’intérêt général au-dessus de leurs ambitions personnelles.La Côte d’Ivoire traverse une période sombre, où les institutions sont capturées, la justice instrumentalisée et les libertés restreintes. Dans ce contexte, chaque décision politique doit être guidée non par le calcul électoral, mais par la recherche du bien commun. L’opposition doit se rappeler qu’elle incarne l’espérance du peuple, et qu’à ce titre, elle n’a pas le droit de trahir cette confiance. Les Ivoiriens n’attendent pas des promesses, mais des actes concrets: une véritable alliance, une parole claire, et un plan de lutte cohérent pour mettre fin à la dictature politique et économique qui asphyxie le pays. L’histoire ne pardonnera pas aux dirigeants qui, par égoïsme ou par faiblesse, auront laissé passer l’occasion de redonner à la Côte d’Ivoire sa dignité et sa souveraineté. Le temps des demi-mesures est révolu. Le pays ne pourra renaître que si ses enfants les plus courageux osent dire non à la peur, non à la résignation, et oui à la résistance. Pour une opposition à la hauteur de l’histoire La conférence de presse du Front Commun est le signe d’un tournant possible, le point de départ d’une prise de

LES CHRONIQUES DE JEAN CLAUDE DÉKÉRÉ

Coup de gueule: c’est quoi l’humilité

Les pharisiens étaient réputés pour ne pas pratiquer ce qu’ils disaient ou prêchaient. On comprend alors pourquoi Jésus recommanda de ne pas les imiter. Or le pharisien dans l’évangile de ce dimanche déclare avoir fait ceci ou cela. On peut au moins le louer pour cela. On peut le féliciter d’avoir posé des actions bonnes. Et pourtant, il ne fut pas exaucé. Pourquoi? Parce qu’ayant observé toute la loi, il donne l’impression qu’il n’attend plus rien de Dieu, parce qu’il est dans l’auto-admiration, l’auto-célébration et l’auto-satisfaction, parce qu’il se croit supérieur à ceux qui ne font pas comme lui, parce qu’il se vante, parce qu’il méprise ceux qui n’agissent pas comme lui. L’autre, le publicain, bien que collabo de l’occupant romain et coupable de magouilles, fut exaucé. Pourquoi ? Parce qu’il attend encore quelque chose de Dieu, parce qu’il se sait pécheur et qu’il le confesse, parce qu’il fait preuve d’humilité. Mais attention au mot « humilité ». Être humble, ce n’est pas nier les talents et qualités que Dieu nous a donnés, ce n’est pas dire « je ne vaux rien ou je ne suis rien ». Tous, nous avons reçu quelque chose de Dieu. C’est à chacun de découvrir son ou ses talents. Être humble, c’est ne pas mépriser les autres parce qu’on est ceci ou cela dans l’Église ou la société, c’est respecter, même le planton ou le balayeur de rue, tout simplement parce qu’il a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, parce que tout homme mérite respect et considération. « Sais-tu qui je suis ou bien à qui tu as affaire? » Un chrétien ne devrait pas tenir ce genre de propos car, à la fin, nous mourrons tous et nous nous retrouverons devant le juste juge. Il est juste, parce qu’il sonde les cœurs et les reins, parce qu’il est incorruptible, parce qu’il regardera, non pas une partie, mais toute la vie de chacun. Jean Claude Djéréké

LES CHRONIQUES DE JEAN CLAUDE DÉKÉRÉ

L’opposition ivoirienne face au défi de l’unité après une élection contestée

Le Conseil constitutionnel, à l’issue du processus de validation des candidatures à l’élection présidentielle, avait retenu cinq candidats, dont quatre issus de l’opposition. Cette décision, en apparence équilibrée, a pourtant suscité une vive controverse. En effet, les partisans des candidats non retenus y ont vu une manœuvre politique destinée à donner une façade démocratique à un scrutin déjà joué d’avance. Selon eux, la sélection de certains opposants n’était qu’une stratégie du pouvoir en place pour légitimer une élection verrouillée et sans véritable enjeu. Dans ce contexte tendu, les militants des candidats écartés ont rapidement traité les candidats de l’opposition validés de « traîtres » et « d’accompagnateurs du président sortant ». Ils les accusaient d’avoir pactisé avec le pouvoir et de servir de caution à une mascarade électorale. Leurs parrainages, jugés « suspects », furent considérés comme la preuve d’arrangements occultes. Ces partisans estimaient que les candidats retenus devaient se retirer purement et simplement du scrutin, convaincus que la victoire du président sortant était déjà acquise avant même le vote. Face à ces accusations, les partisans des candidats retenus ont vivement réagi. À leurs yeux, ceux dont les candidatures avaient été rejetées étaient simplement de mauvais perdants. Ils rappelaient que, si les dossiers de Gbagbo, Thiam ou Affi N’Guessan avaient été validés, ces derniers auraient bel et bien participé à la même élection qu’ils dénonçaient aujourd’hui comme « pliée ». Ils considéraient que refuser de soutenir l’un des candidats d’opposition validés revenait à offrir un boulevard au président Ouattara, en le laissant concourir presque seul. Ainsi, au lieu de présenter un front uni face au pouvoir, l’opposition ivoirienne s’est déchirée en public, chaque camp accusant l’autre de trahison, d’arrogance ou d’opportunisme. Cette division a profondément fragilisé la crédibilité du discours d’alternance et a découragé une grande partie de la population, déjà désabusée par les crises politiques répétées. Le climat préélectoral s’est donc installé sous le signe de la méfiance mutuelle, au détriment d’une stratégie collective susceptible de peser face au régime en place. Un scrutin sans véritable compétition L’élection du 25 octobre 2025 s’est tenue dans une atmosphère morose et sous tension. Comme beaucoup s’y attendaient, la participation fut faible dans plusieurs régions, notamment dans les bastions de l’opposition. Trois jours plus tard, la Commission électorale indépendante (CEI) a proclamé la victoire d’Alassane Ouattara avec 89,77 % des voix. Mais, pour nombre d’observateurs, il ne s’agissait pas d’une véritable victoire électorale, car il n’y a pas eu d’élection à proprement parler. En effet, la plupart des grands candidats avaient été écartés, vidant le scrutin de sa substance. De plus, de graves irrégularités ont été signalées dans plusieurs localités. À Kounahiri et à Cocody, par exemple, on a compté plus de votants que d’inscrits sur les listes électorales — un phénomène déjà observé dans certaines zones du Nord lors de la présidentielle de 2010. Ces anomalies ont alimenté le sentiment d’un processus électoral truqué, destiné à conforter un pouvoir déjà solidement installé. Après la mort d’un gendarme et d’un manifestant dans le sud et le centre-ouest du pays, plusieurs personnes ont perdu la vie à Nahio. À cela s’ajoute un déséquilibre flagrant des moyens: les candidats de l’opposition ont disposé de ressources financières et logistiques largement inférieures à celles du président sortant, qui a pu mobiliser l’appareil d’État à son avantage. Dans ces conditions, la compétition électorale ne pouvait être ni équitable ni transparente. Ce constat explique pourquoi une grande majorité d’Ivoiriens a choisi le boycott plutôt que la participation à ce qu’ils percevaient comme une simple formalité institutionnelle. Après la fausse victoire, quel avenir pour l’opposition ? Face à cette situation, une question cruciale se pose: que doit faire l’opposition ivoirienne maintenant ? Deux voies s’offrent à elle, et le choix entre les deux déterminera sans doute l’avenir politique du pays. La première option, celle de la division et de la querelle permanente, consisterait à poursuivre les accusations mutuelles. Chaque camp continuerait à reprocher à l’autre son manque de loyauté ou de lucidité, pendant que le pouvoir en place consoliderait tranquillement sa position pour les cinq prochaines années. Ce scénario, malheureusement familier dans l’histoire politique ivoirienne, ne ferait que prolonger la domination sans partage du régime et le découragement du peuple. La seconde option, bien plus exigeante mais aussi plus porteuse d’espoir, serait celle de l’unité et de la réflexion commune. L’opposition, dans toute sa diversité, doit faire son examen de conscience et reconnaître que sa stratégie n’a pas été à la hauteur des défis du moment. Aucun parti, aucune figure politique, ne peut à lui seul affronter un pouvoir solidement enraciné, disposant de l’appareil administratif, financier et sécuritaire du pays. Le salut ne viendra que d’un front commun, bâti sur la confiance, le dialogue et la mise en avant de l’intérêt national au-dessus des ambitions personnelles. Le Front commun, qui regroupe le PDCI et le PPA-CI, a déjà appelé à l’annulation du scrutin et à la reprise des élections dans des conditions véritablement démocratiques. Cette position, loin d’être extrémiste, répond à une exigence de justice et de transparence. Au lieu de féliciter Ouattara — ce qui n’aurait aucun sens alors qu’une large majorité d’Ivoiriens a boycotté ce semblant d’élection —, tous les candidats de l’opposition devraient se rallier à cette demande. Il est urgent que les leaders politiques se retrouvent autour d’une même table, non pas pour se partager des postes, mais pour réclamer des réformes structurelles: une nouvelle Commission électorale indépendante, réellement neutre et équilibrée ; un redécoupage électoral juste, tenant compte de la représentativité réelle des populations ; une révision transparente des listes électorales et une allocation équitable des moyens de campagne à tous les candidats. Une telle concertation, associant également la société civile et les organisations religieuses, permettrait de recréer la confiance entre les acteurs politiques et d’éviter que les prochaines élections ne soient une répétition du même scénario. C’est à cette condition seulement que la Côte d’Ivoire pourra tourner la page des élections truquées et des crises postélectorales. L’urgence d’une conscience collective L’élection présidentielle

LES CHRONIQUES DE JEAN CLAUDE DÉKÉRÉ

Ma réaction au dernier communiqué de la Conférence des évêques catholiques de Côte d’Ivoire

Chers évêques et archevêques,J’ai lu avec attention votre communiqué daté du 24 octobre 2025 et intitulé « Appel à l’apaisement et à la prière ». Je vous sais gré d’avoir de la compassion pour les blessés, prisonniers et familles ayant perdu quelqu’un dans cette légitime protestation contre le quatrième mandat anticonstitutionnel d’Alassane Ouattara. Vous écrivez: « Nous n’avons cessé de vous rejoindre pour vous inviter à la paix, au respect du droit et de la vie humaine ». Vous auriez pu écrire aussi que la paix est le fruit de la justice et de la vérité, cette vérité dont Jésus affirmait qu’elle rend libre (Jn 8, 32). Or, à mon humble avis, ce qui vous manque, et on le voit dans toutes vos dernières interventions, c’est ce que les Japonais Ichiro Kishima et Fumitake Koga appellent « le courage de ne pas être aimé » car, dans notre monde où beaucoup aiment les basses flatteries, quiconque ose dire la vérité s’expose automatiquement à être détesté, lynché et combattu. La vérité qu’il aurait fallu dire, c’est que notre Constitution interdit plus de deux mandats à la tête de l’État, quelles que soient l’intelligence et la compétence de celui qui a occupé le fauteuil présidentiel. Cette vérité, l’épiscopat burkinabè l’a dite lors de sa seconde Assemblée plénière à Fada N’Gourma (15-21 février 2010) en disant non à Blaise Compaoré qui voulait modifier l’article 37 de la Constitution pour s’éterniser au pouvoir. Cette vérité, les prélats de la République démocratique du Congo l’ont dite en demandant, le 26 novembre 2017, à Joseph Kabila de ne pas briguer un troisième mandat. Le 2 janvier 2018, le cardinal Laurent Monsengwo renchérissait en ces termes: « Il est temps que les médiocres dégagent et que règnent la paix et la justice en RDC. » Au lieu de vous opposer clairement et publiquement à la seconde violation de notre Constitution par Ouattara, vous vous êtes bornés à réclamer « une élection juste, transparente, inclusive et apaisée » sans nous dire si le président sortant était concerné par cette élection inclusive. Au lieu d’appeler un chat un chat, au lieu de désigner et d’interpeller l’individu que le voyou Sarkozy dit avoir installé au pouvoir sans polémique (cf. Nathalie Schuck et Frédéric Gerschel, « Ça reste entre nous, hein. Deux ans de confidences de Nicolas Sarkozy », Paris, Flammarion 2014) et qui pourrit la vie à toute une nation depuis 1999, vous vous contentez de renvoyer dos à dos parti au pouvoir et opposition et de nous appeler à la prière et au jeûne. La prière et le jeûne, que je ne méprise point, sont-ils incompatibles avec le fait de dire la vérité? Non. « Le feu est allumé, le brasier est fumant », écrivez- vous encore et vous posez la question suivante: « Jusqu’à quand cela va-t-il durer? » Les miennes sont celles-ci: jusqu’à quand allez- vous vous comporter comme Ponce Pilate? Jusqu’à quand allez-vous ménager la chèvre et le chou? Jusqu’à quand allez- vous utiliser le langage diplomatique à l’egard du dictateur? Certains évêques, qui n’hésitaient pas à parler durement au président Laurent Gbagbo, pourquoi se taisent-ils aujourd’hui comme si tout allait bien dans le pays? Qu’ont-ils reçu de Ouattara pour qu’ils deviennent muets comme des carpes sur les dérives et abus de ce régime? Inviter à la prière et au jeûne après avoir cautionné par le silence un régime dictatorial et coupable de violations des droits humains, c’est assurer le service minimum,chers évêques. Ça ne coûte pas cher. It’s cheap commitment (c’est un engagement bon marché). Les patriotes ivoiriens ne désespèrent pas de voir le bout du tunnel. Ils croient que leur calvaire prendra fin un jour parce que « tout finit par finir » (Léandre Sahiri) mais ils ne se souviendront que de ceux qui ont été avec eux et pour eux dans les moments difficiles. Les lâches et collabos du régime, ils les traiteront comme le général de Gaulle traita les évêques et curés qui avaient soutenu le maréchal Pétain et l’occupant nazi. Après la libération de la France, Charles de Gaulle demanda et obtint la démission des évêques collabos (cf. Jacques Duquesne, « Les catholiques français sous l’occupation », Paris, Seuil, 1996). J’espère ne vous avoir pas blessés, chers évêques et archevêques, en disant ce que je pense de votre dernier communiqué. Vous me connaissez. Je ne sais pas faire semblant. Je ne sais pas tourner autour du pot. Si je vous ai heurtés, veuillez bien vous montrer indulgents à mon égard comme le Christ qui nous veut vrais, libres et debout. Jean-Claude Djéréké

LES CHRONIQUES DE JEAN CLAUDE DÉKÉRÉ

Coup de gueule: tout se paie sur terre

Hier, vers 14h, je venais de libérer ma chambre dans l’hôtel Berkeley situé 2, rue d’Odessa dans le 14e arrondissement de Paris. Alors que j’attendais un jeune compatriote qui devait me conduire à Champigny-sur-Marne, Bry-sur-Marne et Bagnolet, je vois Sarkozy. Décidément ! Il n’était plus avec Guéant et Hortefeux. Il sortait d’une épicerie. Moi: me reconnaissez-vous?Lui: bien sûr que oui. On s’est vus à Roissy, jeudi dernier. C’est vous qui m’avez traité de dohiman (petit menteur) quand je vous ai dit que ma lettre à Ouattara était confidentielle.Moi: c’est exact. Donc, c’est demain que vous serez enfermé, n’est-ce pas?Lui: tout à fait. Voilà pourquoi je profite à fond de mes derniers moments d’homme libre. Moi: il est vrai que je n’ai jamais aimé vos méthodes et votre grossière ingérence dans le conflit ivoirien en 2011 mais je ne peux pas me réjouir de voir un homme privé de la liberté de se déplacer, même si la peine qui vous a été infligée ne me semble pas imméritée. Lui: ah bon? Donc votre yako de la dernière fois n’était pas sincère. D’ailleurs, sachez que je vous suis sur Facebook. Je lis aussi Alexis Gnagno, Mamadou Traoré et un certain Excellence Zadi. Je ne sais pas pourquoi il se fait appeler Excellence. Vous, plusieurs fois, vous m’avez traité de voyou et d’inculte. Moi: entre nous, n’êtes-vous pas vraiment un gros inculte? Votre fameux discours de Dakar en 2007 quand vous disiez que l’homme noir n’est pas assez entré dans l’Histoire est celui d’un inculte. C’est un ramassis d’inepties, monsieur Sarkozy. Je suis désolé de vous le dire.Lui: tout le monde m’a insulté à cause de ce discours écrit par Henri Guaino. La réplique la plus virulente est venue des intellectuels africains dans un ouvrage collectif intitulé « L’Afrique répond à Sarkozy « . Non, je n’aurais pas dû dire ce que j’ai dit à l’université Cheikh Anta Diop. Moi: peut-être les juges auraient-ils été moins sévères si vous aviez versé une partie de l’argent du guide Kadhafi dans les caisses de l’Etat Français. Lui: je ne pouvais pas le faire parce que c’est une tradition française: l’argent racketté par Chirac, Mitterrand et les autres aux chefs d’état africains n’a jamais profité au peuple français. Qui est fou? La différence entre Chirac et moi, c’est que Kadhafi ne mettait pas son argent dans les djembés. Moi: justement c’est Robert Bourgi qui l’a révélé. Il a dit aussi que l’élection présidentielle de 2010 a été gagnée par l’homme que vous vouliez vitrifier. J’ai attendu en vain que vous démentiez l’information. Lui: effectivement je n’ai pas réagi mais vous devez connaître le proverbe selon lequel « qui ne dit mot consent ». Le Conseil constitutionnel ivoirien est un décalque du Conseil constitutionnel français dont les décisions sont irrévocables. Quand je demandai à Youssouf Bakayoko de proclamer les résultats provisoires, j’étais dans le faux, j’agissais contre le droit. Ouattara n’avait pas gagné. Moi: il n’est pas trop tard pour le dire urbi et orbi. Vous avez eu le courage de reconnaître que l’Europe est un continent barbare et inhumain. Armez- vous de ce courage pour déclarer que votre pays s’est trompé sur Laurent Gbagbo et qu’il n’a pas été juste avec lui, que vous avez fait du mal à la Côte d’Ivoire. Je vous encourage à faire cette démarche avant votre départ de ce monde car nul ne connaît l’heure de ce voyage sans retour. Si vous le voulez, je pourrais demander à Makosso de vous confesser et de vous donner l’absolution en prison. Lui: tout le monde sauf ce vendeur d’huile dinor. Je ne sais pas s’il y a plus grand escroc que ce Makosso.Moi: mon compatriote est arrivé. Je dois vous quitter. Je vous souhaite de mettre à profit votre séjour carcéral pour devenir un homme nouveau. Bon courage à vous! Lui: merci beaucoup. J’en ai besoin en ce moment. La vie est bizarre: aujourd’hui Laurent Gbagbo est libre et moi, Sarkozy, je m’apprête à entrer en prison. Qui l’eût cru? Je constate simplement que tout se paie ici-bas. Tout se paie sur terre. Jean-Claude Djéréké

LES CHRONIQUES DE JEAN CLAUDE DÉKÉRÉ

La Côte d’Ivoire face à la perte des valeurs: Le cas du pèlerinage du couple Ouattara sur la tombe d’Houphouët-Boigny

Le 14 octobre 2025, à quelques jours de l’élection présidentielle ivoirienne, le couple Alassane et Dominique Ouattara s’est rendu à Yamoussoukro pour se recueillir sur la tombe de Félix Houphouët-Boigny, premier président de la Côte d’Ivoire et fondateur du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). L’événement, en apparence anodin, a suscité de vives polémiques. Pour de nombreux observateurs, il ne s’agissait pas d’un simple geste symbolique de mémoire ou de piété républicaine, mais d’un acte à forte portée politique et spirituelle, dans un contexte électoral tendu marqué par l’exclusion du candidat du PDCI, Tidjane Thiam, de la course à la présidence. Ce pèlerinage du couple présidentiel, interprété par certains comme une manœuvre mystique, révèle bien plus qu’une simple affaire de superstitions africaines. Il met en lumière les contradictions d’une société où la quête du pouvoir se conjugue avec la manipulation des symboles, la corruption des consciences et l’effacement progressif des valeurs morales qui avaient autrefois fondé la nation ivoirienne. I. Un pèlerinage controversé et chargé de symboles La tombe d’Houphouët-Boigny, située dans la basilique Notre-Dame de la Paix de Yamoussoukro, n’est pas un lieu comme les autres. Elle représente à la fois la mémoire d’un homme et le symbole d’un parti, le PDCI, qui a marqué l’histoire politique de la Côte d’Ivoire depuis l’indépendance. C’est pourquoi la visite du couple présidentiel sur ce site, à la veille d’une élection présidentielle dont le principal parti héritier du « Vieux » a été écarté, a soulevé une profonde incompréhension. Beaucoup d’Ivoiriens ont perçu cette visite comme une provocation. Comment comprendre, se demandent-ils, que les portes de la maison d’Houphouët aient été ouvertes à un homme qui, depuis son accession au pouvoir, n’a cessé de marginaliser le PDCI et d’affaiblir son influence politique ? L’indignation a été d’autant plus grande que, selon des rumeurs persistantes, la visite du couple Ouattara aurait été inspirée par un féticheur, qui aurait prescrit un rite destiné à assurer la victoire du président sortant. Que cette version soit vraie ou non, elle traduit une conviction largement partagée en Afrique: dans le jeu politique, les forces invisibles jouent souvent un rôle décisif. Mais, au-delà du folklore mystique, le véritable scandale réside dans la complaisance de ceux qui ont permis cette visite. Car il semble évident que cette ouverture n’a pas été gratuite. Des voix affirment que de grosses enveloppes ont circulé, confirmant la réputation du régime Ouattara, maître dans l’art de corrompre les consciences avec l’argent public. II. La corruption morale: un mal enraciné dans la société ivoirienne L’affaire du pèlerinage de Yamoussoukro ne saurait être comprise isolément. Elle s’inscrit dans un processus plus profond: celui de la dégradation progressive des valeurs morales en Côte d’Ivoire. Depuis plusieurs années, la cupidité, l’opportunisme et la soif du gain facile ont remplacé les vertus d’honnêteté, de loyauté et de dignité qui caractérisaient autrefois les élites ivoiriennes. Cette dérive morale explique en partie la fragilité du tissu social et politique. Dans un pays où tout peut s’acheter — les consciences, les voix, les alliances, les silences —, la politique devient une vaste foire d’intérêts individuels. Des députés, des militants et même des cadres supérieurs du PDCI n’hésitent plus à rejoindre le RHDP, non par conviction, mais pour des avantages matériels. La trahison est devenue monnaie courante, et la fidélité un luxe moral que peu peuvent encore se permettre. La corruption morale n’épargne aucun domaine. Elle a permis, en 2002, l’entrée des armes sur le territoire national. Elle a favorisé, en août 2006, le déversement de déchets toxiques dans dix-huit sites d’Abidjan, causant des milliers de victimes. Elle se manifeste aujourd’hui encore dans la manière dont certains obtiennent des passeports ivoiriens sans en avoir le droit. Dans ce contexte, comment s’étonner que la politique elle-même soit devenue une entreprise de prédation ? III. Le rôle du pouvoir dans l’érosion des valeurs Depuis 2011, le régime d’Alassane Ouattara s’est imposé par une combinaison de stratégie politique, de contrôle institutionnel et de clientélisme économique. L’argent public a servi d’instrument de séduction et de division. Les adversaires les plus virulents sont neutralisés, non pas par la force brute, mais par des nominations, des contrats et des privilèges qui étouffent toute résistance morale. Cette pratique, que Jean-François Bayart appelle la « politique du ventre », a profondément transformé la société ivoirienne. L’éthique du service public a cédé la place à la logique du profit personnel. La solidarité, jadis fondement de la communauté, a été remplacée par l’individualisme le plus cynique. Dans un tel contexte, le pèlerinage du couple présidentiel sur la tombe d’Houphouët-Boigny apparaît comme une métaphore tragique: celle d’un pouvoir qui cherche à se légitimer non par le mérite, mais par la manipulation des symboles sacrés de la nation. Le nom d’Houphouët, jadis synonyme de rassemblement et de paix, est aujourd’hui instrumentalisé à des fins politiciennes. IV. Le silence complice des élites Le scandale de Yamoussoukro met également en lumière la responsabilité des élites politiques et religieuses. Pourquoi ont-elles accepté que la mémoire du « Vieux » soit ainsi profanée ? Par peur ? Par intérêt ? Dans tous les cas, leur silence en dit long sur la crise morale du pays.Les gardiens du temple, ceux qui auraient dû défendre la dignité d’Houphouët-Boigny, se sont laissés acheter ou séduire. Ce comportement traduit non seulement une faillite morale, mais aussi une perte de repères. Quand les symboles de la République deviennent des objets de commerce, la nation tout entière perd son âme. Le drame ivoirien n’est donc pas seulement politique. Il est avant tout spirituel. La Côte d’Ivoire est malade de ses élites, de leur manque de courage, de leur incapacité à dire non à l’argent facile. Tant que la cupidité primera sur la conviction, aucune alternance véritable ne sera possible. V. Pour une refondation morale et politique Si un opposant venait à accéder au pouvoir après 2025, son premier chantier ne devrait pas être économique ou institutionnel, mais moral. Il s’agira de restaurer la valeur du travail, la dignité du citoyen et la confiance dans

WP Radio
WP Radio
OFFLINE LIVE
Retour en haut