Cameroun/Gabon/Guinée Équatoriale: Au cœur de la money connection

Acteurs et méthodes d’un réseau de fausse monnaie qui s’est longtemps joué des trois frontières.

Fracas, dénonciation, incompréhension, indignation, interrogation: ce qui est désormais appelé l’»affaire des faux billets» ici à Kye Ossi est bien l’archétype du scandale transfrontalier. Et pour sortir celui-ci de son étroit corset, pas moins qu’un post du vice-président de la République de Guinée Équatoriale. En effet, pour qui entend sortir d’une vision étriquée de l’affaire et à sauver l’idée qu’elle est tentaculaire, les renseignements fournis par Teodorin Nguema Obiang Mangue sont une lecture stimulante. «L’enquête ouverte par la gendarmerie (équato-guinéenne, NDLR) a permis de découvrir qu’il s’agit d’un groupe composé d’un haut gradé de l’armée nationale de Guinée Équatoriale, du chef d’agence Beac et du commissaire d’Ebibeyin. Ils ont été arrêtés au Cameroun en possession de 1,5 milliard FCFA en faux billets de 10 000 FCFA. À ce stade, la partie équato-guinéenne a pu récupérer 50 millions FCFA en faux billets « , écrit le fils du chef de l’État équato-guinéen sur son compte X officiel, le 7 mai 2024.
Ici à Kye Ossi, des sources sécuritaires proches du dossier signalent l’arrestation en mi-mai de quelques Camerounais, cadres supérieurs et agents subalternes de l’unité de police d’émi-immigration, ainsi qu’une douzaine de personnes travaillant dans des établissements de microfinance de la ville. Selon les mêmes sources, en plus des Équato-guinéens, ces Camerounais sont en exploitation à Yaoundé. Abordée de cette façon, l’affaire révèle les trajectoires des acteurs qu’elle implique. « Cette nébuleuse est le support d’une multitude d’activités visant à créer et à échanger des faux billets », écrit La Gazetta. À en croire le quotidien équato-guinéen, dans son édition du 3 juin 2024, «il s’agit d’un véritable monstre financier prospérant dans l’anonymat, au cœur de l’Afrique centrale. Il s’est épanoui dans l’ombre et a longtemps profité du mystère qui entoure certains secteurs de souveraineté». Plus loin, le même média renseigne que «cette nébuleuse s’est chargée de transporter elle-même son faux argent, de le faire passer à travers les frontières de certains États couverts par la Beac. Ici et là, elle organisait elle-même les transactions entre les usagers (les commerçants et les hommes d’affaires notamment), créditait leurs comptes en fonction de leurs besoins».

Monstres financiers
Pour ce faire, apprend-on de sources sécuritaires de première main à Kye Ossi, des hommes à l’intérieur des agences de transfert d’argent ont mis au point des procédés occultes de fabrication et de transmission d’informations et d’argent. Des techniciens de la finance ont créé un outil complexe, subtil et performant, dont l’existence et les règles de fonctionnement n’étaient connues que de quelques initiés. Ces techniciens de la finance jouaient sur la vitesse. Dans leur travail de transformation des fonds, ils exploitaient les points aveugles dudit système. «Un des témoignages les plus importants de cette histoire est celui d’un ancien responsable de l’informatique d’une microfinance, qui explique, avec moult détails, que jusqu’à son arrestation en début juin dernier, il était chargé d’effacer les traces de certaines transactions entre des commerçants gabonais, équato-guinéens et camerounais; créer artificiellement des pannes informatiques, de sorte qu’on ne puisse plus faire de liens sur les microfiches et dans les archives des clients, entre certains acheteurs et certains vendeurs de marchandises disséminés entre les trois pays», explique un enquêteur commis par Interpol. Et pour donner quelques indications chiffrées, nos informateurs font état d’environ 53 000 transactions traitées depuis la mise en circulation par la Beac d’une nouvelle gamme de billets dans l’espace Cemac.

Jean René Meva’a Amougou, envoyé spécial à Abang Minko’o

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