Anti-jeu électoral : Paul Biya déjà en campagne

L’actuel locataire du palais de l’Unité est-il déjà en train de relancer les dés de sa vie politique? Est-il sur le point de prendre sa retraite? L’homme et toutes ces questions ne font qu’un.

Nouvelle Route Bastos, ce 16 janvier 2025. Paul Biya n’est pas là. Toutefois, en grand format, des images de lui insinuent joyeusement sa présence. En les observant bien, ces images sont loquaces: un portrait géant du chef de l’Etat; un plan serré sur fond d’autoroutes…L’ensemble valorise le visage et la jeunesse de l’homme. A croire que ceux qui les ont collées sur ces larges panneaux ont pris soin de mettre d’abord en avant son physique. «Les concepteurs de ces affiches, comme vous pouvez le deviner, assument véritablement le côté esthétique de leur stratégie, laquelle consiste à rendre le président aussi proche que possible, afin d’établir un lien émotionnel avec la personne qui regarde l’affiche, droit dans les yeux», estime l’expert en stratégie de communication Pulchérie Ngongang. Il poursuit: «le fond parle également; puisqu’il montre clairement la volonté du président de jouer la différence et de mettre en avant un message entretenu par des infrastructures construites sous son magistère». «Loin de l’image dure et agressive qu’on voit chez certains hommes politiques de chez nous, Paul Biya, bien servi par un logiciel de retouche, adopte l’attitude d’homme d’Etat, tel qu’on l’imagine, visage paisible, fin sourire aux lèvres, visionnaire, constructeur et sur pied. Et en ce sens, les affiches que nous avons sous nos yeux dans les rues de Yaoundé s’inscrivent dans la rediffusion du discours qui le présidentialise quotidiennement, en faisant référence à son rôle de bâtisseur infatigable. Il s’agit donc d’un message cohérent avec l’un de ses slogans: ‘’les grandes réalisations ‘’ sachant que l’opposition a toujours eu des positionnements équivoques vis-à-vis du pouvoir», ajoute le sémiologue Franck Noumbissi.


Déjà en campagne électorale?
Pour beaucoup, malgré la parole obscure de Paul Biya lors de son message à la nation le 31 décembre 2024, son «omniprésence» dans les rues peut être interprétée doublement. «D’une part, il pourrait bien s’agir de prendre de l’avance sur les autres candidats déclarés ou non à la prochaine présidentielle. Alors, à travers ces affiches, le président veut peut-être aussi signaler qu’il est déjà au travail d’une part. D’autre part, on pourrait voir en ces affiches des marques d’au revoir d’un homme qui, selon lui-même caresse le rêve d’être désigné comme celui qui a apporté la démocratie et la prospérité à son pays», nuance un militant du Rassemblement Démocratique du peuple camerounais, le parti de Paul Biya.


De son côté, Pr Victor Ashany est sans détour. «Biya est déjà en campagne!», tranche-t-il. Selon ce militant d’un parti de l’opposition, «les affiches de Paul Biya et de son épouse fonctionnent déjà comme des éléments de cadrage du sens». «Personnellement, je considère ces affiches comme des outils de mobilisation politique qui, comme les posters publicitaires, visent à séduire, exhorter, vendre, attirer. Et la permanence de leur présence, placardée depuis des jours, voire des mois durant, aux abords des rues très fréquentées, fait en sorte qu’elles se font remarquer même par le passant pressé ou réfractaire à la politique, puisque la disposition de ces affiches est telle qu’elles entrent dans le champ visuel de celui qui, badaud flâneur ou citoyen attentif, est toujours un regardeur. Entre temps, rien n’est fait pour empêcher cet affichage», argumente Pr Victor Ashany.


Sur ce dernier aspect, une source à la Communauté urbaine de Yaoundé, institution chargée de surveiller l’environnement publicitaire dans la capitale, brille par sa fébrilité. «Hélas, on ne peut pas faire grand-chose. Quand on constate ces infractions, les procédures sont souvent longues, en passant par le préfet ou le maire. C’est parfois la croix et la bannière. En plus, dans le cas des affiches électorales, les choses sont temporaires, ça ne sert donc à rien de les signaler aux autorités. Et en termes de responsabilité, c’est aussi compliqué. Il n’est pas prouvé que le président est ou n’est pas responsable directement, qu’il a ou n’a pas donné l’ordre de coller son image à tel ou tel endroit de la ville», se détourne notre interlocuteur.

La propagande par l’image du «candidat» Biya

La mouvance des campagnes électorales est marquée par des défis pluriels. Entre postulants et électeurs, tout se joue. Il faut convaincre par tous les moyens.

Les jours futurs seront capitaux pour l’avenir du Cameroun. En cette année électorale, l’on renouvellera les marques baptismales de la nouvelle architecture politique du Cameroun. A la suite des inscriptions sur les listes électorales, le corps électoral sera convoqué et l’on rentrera de plein pied dans la mouvance des élections. Il est utile de rappeler que chaque élection présidentielle est précédée d’une période de campagne électorale. Pendant cette période, les candidats vont pouvoir présenter leur programme, communiquer avec leurs militants et réunir leurs partisans. Cette phase de la campagne électorale est encadrée par diverses dispositions législatives et réglementaires.
On observera la tenue de méga-meetings politiques essentiellement organisés par les partis politiques dans le but de renforcer la crédibilité de leurs aspirants à la «Haute Candidature». Au rang de diverses stratégies mises en place par les états-majors de ces différents postulants, la propagande par l’image demeure l’une des stratégies les plus utilisées.
Pendant la durée de la campagne électorale officielle, dans les communes, des emplacements spéciaux seront réservés par l’autorité municipale pour permettre aux candidats déclarés d’apposer des affiches électorales sur des panneaux d’expression libre. Les mois à venir révèleront des candidats dont les effigies seront apposées sur des panneaux publicitaires dans plusieurs localités. Avec en bonus, des slogans porteurs susceptibles de créer une émulation populaire et favoriser la divulgation de la vision globale du candidat.


Pendant les élections présidentielles précédentes, le RDPC s’est le plus souvent appuyé sur l’image de son candidat pour mieux véhiculer son projet de société. Des affiches publicitaires ont, le plus souvent, véhiculé des slogans politiques allant dans le sens du renforcement de la vision du candidat Biya, afin de créer un sentiment d’unité nationale et d’adhésion à ses objectifs. Elles ont aidé à façonner la perception des citoyens sur des sujets sensibles. Dans sa stratégie globale, l’état-major du RDPC cherche, à travers la propagande par l’image de son candidat, à inciter à la participation civique tout en orientant cette participation vers des activités favorables au pouvoir.
Et il convient de signaler que la réalité électorale au Cameroun est une réalité encadrée, régie et codifiée par le droit. Ce qui revient à dire que la période des campagnes électorales et les règles qui la régissent relèvent du droit constitutionnel lequel pose dans une perspective normative, les règles du jeu politique et distribue les rôles entre les différents acteurs.


Faisant allusion au caractère spécifique de la nouvelle propagande prise dans le sens de la politique contemporaine, Jacques Ellul évoque dans son ouvrage, Histoire de la propagande, que ce phénomène est de plus en plus marqué par la massivité. On ne cherche plus à atteindre quelques individus particulièrement influents, importants, bien placés, une élite de gouvernement. On cherche à modifier une opinion dans son ensemble, à obtenir des comportements de masse. La propagande par l’image ne peut avoir d’effet que lorsqu’elle est de longue durée et autant que possible ininterrompue. Ce qui soulève la question de sa permanence.


Dr Tom

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