84è anniversaire: comment le Cameroun est devenu indépendant le 27 août 1940

Voici le texte qui proclame l’indépendance du Cameroun:
«Ce matin 27 Août 1940, sur le sol d’Afrique et dans un territoire français, la France, avec ses propres armes, continue la lutte et rentre dans la seconde guerre mondiale, aux côtés de la Grande-Bretagne et de ses alliés. Elle sera présente à l’heure de la victoire après les combats dans l’honneur. Le Cameroun reprend son indépendance économique et politique. Il adhère à la France libre. Vive la France. Vive le Cameroun libre» [2].
Il faut le dire: le statut du Cameroun de territoire sous Mandat interdisait l’organisation et la présence de troupes militaires, il était INTERDIT à la France de se doter de troupes militaires dans notre pays. Le Mandat de la Société des Nations sur le Cameroun dans son article 3 stipulait:

  • Le mandataire ne devra établir sur le territoire aucune base militaire ou navale, ni édifier aucune fortification, ni organiser aucune force militaire indigène sauf pour assurer la police locale et la défense du territoire.
  • Toutefois, il est entendu que les troupes ainsi levées peuvent, en cas de guerre générale, être utilisées pour repousser une agression ou pour la défense du territoire en dehors de la région soumise au mandat.»
    La proclamation de l’indépendance politique et économique du Cameroun avait transformé son statut en un État indépendant, doté de la possibilité de constituer ses propres troupes. Leclerc, dans la foulée, s’était auto-désigné Commissaire Général du Cameroun.
    Très rapidement, le général De Gaulle est arrivé à Douala, où il a déclaré le mardi 8 octobre 1940: «Le Cameroun aura sa place dans l’histoire de cette guerre et dans notre histoire nationale.» Quelques jours plus tard, à Yaoundé, il a ajouté le 13 octobre 1940: «Plus que jamais, devant l’exemple donné par le Cameroun Libre, je suis convaincu que nous réussirons à libérer la France par l’Empire». C’est ainsi que, deux mois après l’arrivée du «colonel» Leclerc à Douala, De Gaulle quittait le Cameroun avec les sacs pleins de devises. Leclerc quant à lui, allait entrainer des milliers de Camerounais, et plus tard, des milliers d’Africains dans une guerre lointaine contre le fascisme allemand… Le premier contingent camerounais s’élevait à 40.000 volontaires! [3] Comment ne pas évoquer les matières premières du Cameroun dans l’effort de guerre, notamment, le caoutchouc de Dizangué, les participations matérielles et financières significatives libres et parfois imposées, les travaux forcés…?
    Il faut le marteler: la France libre n’était qu’une vision de l’esprit, car il n’y avait ni texte, ni territoire, ni soldat, encore moins de moyens financiers. C’est quelques mois plus tard à Brazzaville que cette France libre va se doter du premier texte officiel. Sur le site de la fondation De Gaulle, il est clairement stipulé dans le chapitre »De Gaulle et l’Afrique (2) – Brazzaville, capitale de la France libre»: «Le chef de la France Libre est en revanche reçu triomphalement lors de son arrivée à Douala, au Cameroun, le 8 octobre 1940. Après un séjour au Tchad, il s’installe à Brazzaville le 24 octobre. La capitale de l’Afrique équatoriale française (AEF) devient alors capitale de la France libre (26 octobre 1940). C’est à Brazzaville que de Gaulle signe les premiers textes organisant la France Libre. Une ordonnance crée le Conseil de Défense de l’Empire, embryon d’un gouvernement le 27 octobre 1940 et l’Ordre de la Libération est institué le 16 novembre. Radio-Brazzaville devient l’émetteur national de la France Libre. Enfin, en matière militaire, une instruction personnelle et secrète du général de Gaulle permet que se constitue dès cette époque la colonne Leclerc au Tchad. Les bases de la future 2ème DB étaient posées.
  • Lire aussi : 84è anniversaire : comment le Cameroun est devenu indépendant le 27 août 1940

  • Le général de Gaulle séjourne régulièrement à Brazzaville à partir de l’automne 1940. Ce n’est du reste qu’en juin 1943 qu’il s’installe à Alger, en faisant la nouvelle capitale de la France Libre.
    Après la guerre, l’attitude calme et sereine de Um Nyobe et de ses camarades, convaincus d’être du bon côté de l’histoire, devient plus compréhensible. Malheureusement, l’indépendance du Cameroun proclamée le 27 août 1940 à Douala est rapidement passée à la trappe après la libération de la France. Le non-respect de cette indépendance va conduire à la création de l’Union des Populations du Cameroun le 10 avril 1948. Plutôt que d’accuser l’UPC de ne pas s’être préparée à une guerre qu’elle n’a jamais souhaitée contre la France, il est plus judicieux de replacer ces événements dans leur contexte historique. Il est essentiel de connaître cette période tragique et sombre où la France, ingrate, cruelle et amnésique, a plutôt initié un processus de «vassalisation» du Cameroun par la violence, et de l’Afrique francophone par le biais du Franc CFA et de la Françafrique.
    L’histoire coloniale de la France comporte des zones complètement opaques, notamment en ce qui concerne le Cameroun. La classe politique française, tout comme les manuels d’histoire français et camerounais, ont occulté cette période. Pourquoi la France hésite-t-elle à assumer son passé? Pourquoi la dette envers le Cameroun et l’Afrique suscite-t-elle autant de réticences? Est-ce parce qu’elle est considérée comme impayable ou simplement parce qu’il s’agit de l’Afrique? Il est indéniable qu’une avenue du 27 août 1940 a existé à Douala, tout comme il y a encore une statue de Leclerc dans cette ville, ainsi qu’un lycée Leclerc à Yaoundé et l’hôpital Laquintinie à Douala. Ces symboles témoignent de cette présence française à travers le Cameroun pendant la Seconde Guerre Mondiale. Cependant, nous aspirons à une réciprocité, souhaitant également des statues en France en l’honneur de Singap Martin, Tankeu Noé, Ruben Um Nyobe, Makanda Pouth et d’autres figures historiques. Ceci semble être un vœu pieux au regard de la condescendance et de l’esprit de paternalisme de la France vis à vis de l’apport de l’Afrique francophone dans cette guerre. Nous avons vu la célébration en grande pompe du débarquement de Normandie en juin 2024, et le côté «famélique» d’une maigre «cérémonie» sur le débarquement de Provence en août 2024 où 225.000 soldats africains ont pourtant délivré plus des 2/3 de la France.
    Visiblement, les conséquences douloureuses du colonialisme et du néocolonialisme continuent d’affecter les sociétés africaines aujourd’hui. L’héritage de l’exploitation coloniale persiste sous différentes formes. Cependant, pour surmonter ces séquelles, il faut plus que de maigres et simples gestes symboliques de remords et d’expiation. Dans les relations officielles avec les anciennes colonies et territoires sous mandat, les rapports de force inégaux perdurent, perpétuant ainsi les mentalités coloniales et les hiérarchies suprématistes. Malheureusement, aucune ancienne puissance coloniale ne semble disposée à compenser de manière significative les injustices passées, les atrocités et l’exploitation. La France, en particulier, n’échappe pas à cette règle. Elle nage entre amnésie et négativisme. L’ère coloniale et postcoloniale au Cameroun reste un chapitre ouvert de l’histoire, un passé et un présent non résolus. Il incombe aux Africains, aux Camerounais, de réexaminer notre histoire et de la réinterpréter, d’écrire LA VERITE. L’Africain et le Camerounais en particulier ont été assez «broyés». Nous le devons aux générations futures. Personne ne le fera mieux que nous-mêmes.
    Nous sommes convaincus que notre peuple et sa jeunesse ne resteront pas passifs face à cette injustice. Dans notre démarche, il n’y a ni animosité, ni rancune envers quiconque, contrairement à ce que nos détracteurs prétendent. L’UPC n’est pas rancunière, ni anti-française, comme l’a souligné à maintes reprises Ruben Um Nyobe. Notre position repose sur la tradition upéciste qui évalue et juge les pays en fonction de leurs attitudes vis-à-vis des intérêts de notre peuple.
    Le 27 août 1940 demeure une date cruciale dans l’histoire des relations entre le Cameroun et la France. Cette journée mérite une commémoration spéciale. Nous espérons que très bientôt, les gouvernements camerounais et français marqueront le 84e anniversaire de la proclamation de l’indépendance du 27 août 1940 par une célébration solennelle, témoignant de la générosité et de la fraternité de notre peuple envers le peuple français. Dr Daniel Yagnye Tom. Représentant Spécial de l’UPC en Afrique Australe et Centrale
    Président de l’Alliance Patriotique.

[1]- Ruben Um Nyobe; Écrits sous maquis, Ed. L’Harmattan, Paris 1989
[2]- Enoh Meyomesse; Le Coup d’État du colonel Leclerc à Douala puis à Yaoundé, Communication privée
[3]- Aaron Alain Claude Essome Mbenda; La condition Militaire au Cameroun 1894-2000, Editions Universitaires Européennes, 2019
[4]-La présence française au Cameroun (1916-1959) https://presses-universitaires.univ-amu.fr/presence-francaise-au-cameroun-1916-1959-colonialisme-ou-mission-civilisatrice.
[5] https://www.charles-de-gaulle.org/les-activites/grand-public/expositions/de-gaulle-lamitie-franco-africaine-70eme-anniversaire-de-lafrique-francaise-libre-

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

WP Radio
WP Radio
OFFLINE LIVE
Retour en haut